Élus, administratifs, bibliothécaires
Travailler ensemble ?
Émilie Thilliez
L’Hôtel de Guînes d’Arras a accueilli le 26 janvier 2006 la deuxième journée du groupe ABF (Association des bibliothécaires français) Nord-Pas-de-Calais, sur le thème « Élus, administratifs, bibliothécaires : travailler ensemble ? ».
Dans une ambiance à la fois ludique et studieuse, filant la métaphore du couple (élu-bibliothécaire) puis du ménage à trois (élu-bibliothécaire-administratif), cette journée a été l’occasion de donner la parole à des acteurs souvent présents dans les discours professionnels, mais s’exprimant rarement dans le cadre de journées d’étude.
François Desmazière, maire-adjoint délégué à la culture d’Arras, a ouvert cette journée, soulignant l’importance et l’actualité du questionnement à propos des relations entre élus et cadres territoriaux, eu égard aux thématiques développées par les périodiques professionnels tels que La Lettre du cadre territorial 1 et La Gazette des communes 2.
Puis Claudine Belayche a brossé à grands traits un historique de la relation élu-bibliothécaire, de la Révolution de 1789 à nos jours. Elle a rappelé que nos bibliothèques actuelles sont les héritières des confiscations révolutionnaires, confiées à la charge des communes, qui le plus souvent ne leur allouaient qu’un budget minime. Aujourd’hui, les communes sont conscientes de l’intérêt de la culture, en y délégant un élu, sous différentes terminologies possibles. Aux bibliothécaires de savoir se faire entendre d’eux.
Un couple qui marche : élu et bibliothécaire
Trois bibliothécaires venus de villes de taille variée – chacun accompagné de « son » élu – ont pu témoigner : Gisèle Coquerelle et Philippe Gauchet, de Calais (110 000 habitants), Annie Demeure et Isabelle Lannoy, de Wormhout (5 100 habitants), Dominique Arot et Sarah Pheulpin, de Lille, capitale régionale (191 000 habitants). Partir de leurs parcours singuliers nous a permis de déduire quelques ingrédients indispensables au bon fonctionnement d’un couple élu-bibliothécaire.
Le fait d’insérer la bibliothèque dans un cadre d’action qui la dépasse (projets éducatifs, artistiques à l’échelle de la ville, par exemple) et de la faire intervenir dans d’autres domaines, d’autres dossiers que ceux qui sont traditionnellement les siens peut permettre de mieux faire comprendre aux élus l’utilité et les enjeux de la lecture publique dans leur commune. La dimension humaine de la relation semble avoir également une importance capitale : la volonté de travailler et de bâtir ensemble des projets, le partage d’une vision commune sur ce qu’est et représente un service public, la valorisation du dialogue et de la concertation en sont les éléments-clés. Enfin, des facteurs relevant moins de la pensée que de l’intuition, du feeling entre personnes, représentent des ingrédients non négligeables d’un bon fonctionnement.
Dans le cas de Calais 3, bibliothécaire et élue déléguée à « la vie culturelle, politique et au renouvellement urbain » ont dû convaincre les autres élus. Un état des lieux réalisé par un cabinet extérieur a fait découvrir à l’ensemble de l’équipe municipale que, bien que très performante à son ouverture, la médiathèque, reconstruite en 1986 dans les locaux d’une ancienne usine de dentelle, avait été un peu négligée par la suite. Il a fallu mettre en œuvre un véritable dialogue avec les élus, destiné à leur faire prendre conscience de la nécessité de redonner un nouveau souffle à la médiathèque. L’intégrer à des projets plus larges, comme un contrat ville-lecture, y a contribué.
À Wormhout 4, l’adjointe au maire, déléguée à la jeunesse et à la culture, a eu pour mission de mettre en place un projet de médiathèque. Pendant quatre ans, elle a visité beaucoup d’établissements. Elle a évoqué ses craintes et appréhensions au moment de recruter un professionnel, les difficultés à laisser à quelqu’un d’autre le dossier qu’elle avait instruit pendant plusieurs années. Mais le feeling est passé, et ce jeune couple élue-bibliothécaire dit aujourd’hui entretenir des relations fondées sur la concertation, l’écoute et le respect d’objectifs fixés ensemble.
À Lille 5, une élue a été déléguée à la « bibliothèque et à la lecture publique ». Cette délégation est distincte de celle de la culture, et permet de sortir la bibliothèque du paysage culturel général pour en faire un objet particulier. Élue et bibliothécaire apprécient la simplicité de leur relation ; ils se sollicitent mutuellement pour diverses choses. L’élue regrette la discrétion des bibliothécaires, en comparaison avec d’autres institutions culturelles ; ils essaient de conjuguer leurs temporalités différentes, dans la mesure où le temps de l’élu est celui du mandat, alors que celui d’un projet s’étend sur plusieurs mandats. Ensemble, ils sont solidaires pour convaincre les autres élus de l’importance de la lecture publique. Ils se rencontrent régulièrement, à raison de deux heures toutes les deux ou trois semaines pour évoquer leurs soucis, qu’ils soient administratifs, budgétaires, culturels…
Un troisième larron : l’administratif
« Le responsable de la bibliothèque aura le souci de trouver le juste milieu entre une application très stricte de la structure hiérarchique et une adaptation au -contexte. Il sera très important pour lui de se situer entre le directeur des Affaires culturelles, sa tutelle directe et normalement “incontournable” pour toutes les actions à entreprendre, et des discussions, rencontres avec son élu de secteur, souvent souhaitées par celui-ci. » Cet extrait du guide de gestion administrative et financière des bibliothèques des collectivités territoriales 6, récemment paru, permet d’introduire les propos tenus lors de la table ronde « Comment se prennent les bonnes décisions : les bibliothèques dans leurs collectivités », qui a vu l’introduction d’un troisième larron : l’administratif. Marie-Odile Paris, directrice de la médiathèque départementale du Nord, François Derquenne, directeur des Affaires culturelles de Douchy, et Jean Chenevière, directeur des Affaires culturelles de Wattrelos, nous ont aidés à comprendre quelles relations se nouent dans ce triangle élu-administratif-bibliothécaire. Membre de l’administration de tutelle, amené le plus souvent à chapeauter et encadrer plusieurs services culturels, l’administratif – le plus souvent un directeur des Affaires culturelles – peut être un intermédiaire entre élu et bibliothécaire, mais il est important aussi que ces derniers entretiennent des relations directes.
En conclusion, Dominique Arot a souligné que, loin d’oublier que ces relations se jouent parfois dans l’indifférence ou le conflit, la journée du 26 janvier a voulu montrer l’exemple de relations dynamiques et constructives, dans lesquelles chacun des participants a pu puiser des ressources.