La valorisation des archives sonores
Le documentaliste, le juriste et le chercheur
Élizabeth Giuliani
Les 21 et 22 novembre 2005, ont eu lieu à la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) d’Aix-en-Provence des journées d’étude sur le thème du traitement documentaire des archives sonores. Elles étaient organisées par le pôle Image, son, recherche en sciences humaines de la MMSH, en collaboration avec l’EPHE (École pratique des hautes études), l’Afas (Association française des détenteurs de documents sonores et audiovisuels) et la Mission des musiques et danses traditionnelles et du monde d’Arcade (centre de ressources et de développement des arts du spectacle en Provence-Alpes-Côte d’Azur).
Ces deux journées ont réuni près de 100 personnes qui, à titre individuel (musiciens, enseignants) ou institutionnel, s’impliquent dans la collecte d’archives sonores, rejointes par deux classes de BTS des métiers de l’audiovisuel – Studio M (Marseille).
Une profusion d’expériences…
La première journée se présentait comme une confrontation des expériences les plus diverses conduites en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Seul élément pour structurer cette suite de témoignages, le découpage administratif : un représentant par département constitutif de la région ! À l’introduction de la rencontre par Philippe Fanise (Arcade), a succédé un sympathique tour de table de tous les participants, intervenants comme auditeurs, invités à évoquer les actions menées par chacun.
Les intervenants « officiels » envisagèrent les manières diverses de valoriser des archives orales collectées par eux ou d’autres, seule voie possible de leur survie et de leur transmission. Cette valorisation, qu’elle s’exprime par la recherche « académique » et la publication savante ou par la pédagogie et le spectacle, suppose une conservation et une documentation. Véronique Ginouvès, responsable de la phonothèque de la MMSH, avec l’exemple des collectes qui y sont conservées, déroula ainsi, « Du dépôt à la valorisation », le traitement de l’information et du support.
Cyril Isnart, doctorant (Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative) travaillant sur un fonds * déposé par les Arts et traditions populaires à la MMSH, présenta le cas très intéressant d’un chercheur qui « interprète » un corpus constitué par un autre chercheur dans un autre temps. La question des conditions techniques (documentation, conservation) pour un tel retour sur collecte s’imposait. Mais aussi, plus profonde, celle d’une « transmission » épistémologique.
Cécile Février, de la Compagnie du Lamparo, donna un exemple de collectage urbain, recherchant à travers la culture orale une identité marseillaise. En contexte rural (plus fréquenté dans ces domaines d’étude), Patrick Mazellier (Hautes-Alpes) confronta permanence identitaire et échanges culturels du Vivarais aux Alpes.
Jean-Bernard Plantevin et Jean-Louis Ramel (Vaucluse) évoquèrent, quant à eux, les particularités de la Drôme méridionale, îlot de Provence en région Rhône-Alpes. C’était l’occasion de remettre en cause une vision territorialiste rigide et d’envisager comme « particularisme » pour un pays, d’être un lieu de passage, de cohabitation ou de métissage sociaux et culturels.
René Sette, de l’Association Cantar, présenta la démarche d’un chanteur-collecteur en Haute-Provence. Dans son cas, il s’agit véritablement d’assigner à la collecte et à ses modes de fixation (transcription ou enregistrement) la fonction de vecteur de transmission d’une tradition essentiellement orale et destinée à la performance.
Jean-Luc Domenge appliquait à sa « quête de mémoire en Provence orientale » (Petra Castella, Var) une démarche d’ethnolinguiste ayant, par ailleurs, hérité de fonds écrits de certains félibres. La physionomie de cette mémoire que restituent 1 500 heures d’enregistrement est, une fois de plus, très mixte : mixité des répertoires (part notable des succès de l’Alcazar de Marseille), des langues (français, niçois, italien).
… mais peu de coopération
Cette grande variété de points de vue, apparent souci d’objectivité, s’est révélée commode pour dissimuler un déficit (sympathique au demeurant) en problématique d’ensemble. Chacun entend la collecte orale à sa porte et, en dépit des efforts décennaux d’organismes et centres de recherche (Afas, Crehop [Centre de recherche sur les ethnotextes, l’histoire orale et les parlers régionaux]…), continue à se consigner dans l’aire géographique la plus étroite, sans vue panoramique ni idée historique. Il n’est pas étonnant alors qu’on n’envisage pas non plus la valorisation comme un élément d’une véritable chaîne documentaire, articulant critères de sélection et qualification de contenus, procédures de conservation, de traitement et indexation…
La seconde journée fut perturbée par des soucis de transports. Elle était centrée sur les aspects juridiques qui encadrent et contraignent la collecte et l’exploitation, scientifique ou culturelle, des archives sonores. Les questions juridiques, dans le contexte de la numérisation, ne cessent de faire recette dans les rencontres et publications professionnelles. Rappelant la doctrine en matière de droit d’auteur, Catherine Guigou, avocate à Marseille, a tenté d’équilibrer l’énoncé des obstacles et la définition de parades, dont l’évaluation raisonnable des risques. Passant à la pratique, Ludovic Le Draoullec a raconté son expérience de juriste élaborant des contrats types au sein du projet préparé par l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) d’un portail d’accès aux corpus d’archives orales numérisés avec le soutien du ministère de la Culture. Plus avant dans la journée, Michel Fingerhut (directeur de la médiathèque de l’Ircam) présenta d’ailleurs le prototype de ce portail documentaire.
Sonia Zillhardt dressa le bilan des numérisations d’archives sonores soutenues par le ministère de la Culture et traça les perspectives de la nouvelle phase du programme national de numérisation. Elles sont désormais très clairement orientées vers la valorisation et, par ailleurs, comptent sur l’initiative (et les ressources) des producteurs de projets.
En conclusion, l’archive orale suscite toujours l’ardeur et la discussion, mais la méthode et le discours organisé pour son traitement restent choses rares.