Culture publique

par Philippe Poirrier
Paris : (mouvement)SKITe : Sens & Tonka, 2004-2005. – 20 cm.
Opus 1, L’imagination au pouvoir. – 218 p. ISBN 2-84534-097-4 : 16 €
Opus 2, Les visibles manifestes. – 297 p. ISBN 2-84534-116-4 : 19 €
Opus 3, L’art de gouverner la culture. – 261 p. ISBN 2-84534-125-3 : 19 €
Opus 4, La culture en partage. – 293 p. ISBN 2-84534-126-1 : 19 €

L’observateur attentif des politiques culturelles a aujourd’hui bien du mal à saisir le sens que les pouvoirs publics souhaitent donner à leur action. La thématique de la « diversité culturelle », essentiellement mobilisée sur la scène internationale, masque mal un encéphalogramme presque plat. La « crise » du modèle français de la politique culturelle est devenue proverbiale, et cette situation contribue à désespérer les acteurs des politiques publiques.

Revisiter l’histoire récente

Le débat existe pourtant, mais il a déserté les abords du Palais Royal. Les quatre volumes publiés sous le titre Culture publique témoignent parfaitement de cette conjoncture. L’initiative a été lancée par la revue Mouvement, revue indisciplinaire des arts vivants. L’élection présidentielle de 2002 et le mouvement des intermittents de l’été 2003 ont joué le rôle de catalyseur. Le dépôt des archives de Jack Lang à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec) est l’occasion de « revisiter cette histoire récente, qu’il convient aujourd’hui de mettre à la question ». On sait combien l’ancien ministre de la Culture est attaché à la trace qu’il laissera dans l’histoire. Au colloque du centenaire de la SFIO qui s’est déroulé en avril 2005 à la Bibliothèque nationale de France, Jack Lang a lancé un véritable appel à l’investigation historienne : « J’ignore par conséquent si je ferai un jour ce travail de récit mais sachez en tous les cas que je suis prêt à être le “nègre” de tout chercheur qui souhaiterait réaliser un travail d’historien sur ces époques que nous avons traversées. Mes archives personnelles sont à la disposition de ces éventuels candidats à un travail scientifique, qui serait effectivement nécessaire pour la gauche comme pour nous tous  *. »

Ces quatre volumes échappent néanmoins à l’hagiographie, même si les années Lang apparaissent, non sans raison, comme une embellie aujourd’hui révolue. L’ambition affichée est de publier une collection d’essais documentaires. Chaque volume est constitué de documents d’archives, souvent inédits, et de contributions sollicitées auprès d’acteurs des mondes de l’art et de la culture et auprès de chercheurs spécialisés dans l’analyse des politiques culturelles qu’ils soient historiens, sociologues ou politistes. L’ensemble constitue une somme de près de mille pages, hétéroclite dans sa construction, mais que chacun peut mobiliser au gré de ses envies.

Une réflexion transversale

Le questionnement est volontairement transversal. L’interrogation historienne ne répond pas aux règles académiques. Elle vise avant tout à susciter la réflexion, non pas dans une visée nostalgique, mais afin de mieux envisager un futur à construire. Dès lors la confrontation entre l’archive, la prise de position des acteurs et l’analyse du chercheur confère à l’ensemble une dimension polyphonique.

Ces quatre volumes n’affichent jamais un programme en tant que tel. Les acteurs mobilisés sont assez divers. Les politiques, très présents, représentent un large spectre partisan, même si la gauche domine : Martine Aubry, Jack Ralite, François Léotard, Catherine Trautmann, Alain Krivine, Michel Dufour, Jack Lang… Les principaux chercheurs ont répondu présent : Raymonde Moulin, Vincent Dubois, Emmanuel Wallon, Philippe Urfalino, Henri-Pierre Jeudy, Christian Ruby… Marc Fumaroli persiste et signe. Les acteurs culturels – artistes et institutionnels – ne sont pas oubliés.

L’intérêt documentaire de l’ensemble est incontestable. Le lecteur, attentif au devenir des politiques publiques de la culture, trouvera des textes qui invitent à la réflexion et au débat. La désespérance que nous évoquions en ouvrant notre note de lecture n’est donc pas une fatalité. L’historien qui reste persuadé de l’intérêt civique et politique – au sens noble – de sa discipline est conforté, et ne peut qu’applaudir à l’édition – par ailleurs formellement réussie – de cette « veille active de la mémoire ».

  1. (retour)↑  Jack Lang dans « 1905-2005 : cent ans de socialisme. Les socialistes et la France », Recherche socialiste, juin-septembre 2005, p. 51.