La diffusion des films en médiathèque, cadre juridique et perspectives

Bernard Coisy

Journée d’étude très technique à la Bibliothèque publique d’information (Bpi), le 6 octobre. Emmanuel Aziza, président de l’association organisatrice Images en bibliothèques, le confirme en signalant que le sujet de ce rendez-vous, peut-être destiné à devenir annuel, veut avant tout répondre aux questions concrètes des vidéothécaires qui, de plus en plus, organisent des projections publiques de films dans leurs locaux.

La sécurité totale est impossible

Il est vrai, souligne Isabelle Pascal, chargée des questions juridiques au département audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France, au cours d’un exposé touffu mais qui détaille bien la complexité du sujet, que l’objet audiovisuel (œuvre intellectuelle utilisant des supports variés, évolutifs, voire virtuels) relève de différents champs du droit (droit public de la communication audiovisuelle, droit à l’image, droits d’auteur et droits voisins). L’œuvre audiovisuelle étant récente, le droit d’auteur s’applique quasiment toujours et ses auteurs peuvent s’additionner : scénariste, musicien, dialoguiste, réalisateur et parfois même l’auteur du roman d’où l’œuvre est issue. Heureux le vidéothécaire qui s’adresse à un producteur se disant représentant de tous les auteurs, mais à lui de s’en assurer ! Une couche de complication s’ajoute selon que l’on est intéressé par le film intégral ou des extraits, qu’il y a des images d’un autre film d’archives insérées dans le film… En outre, Isabelle Pascal insiste sur une distinction qui lui semble fondamentale pour les bibliothécaires : l’œuvre corporelle et l’œuvre incorporelle. Ainsi le collectionneur qui fait un don ou simplement un prêt même très court à la bibliothèque peut ne transmettre que l’œuvre corporelle. Sans la cession des droits incorporels, il n’y a pas de droit de diffusion pour la bibliothèque.

Pour une représentation dans un lieu public, le bibliothécaire doit s’acquitter du droit de représenter, mais aussi du droit de reproduction, s’il a besoin, par exemple, de numériser l’œuvre pour la projeter. Enfin, dans le cas d’une représentation d’extraits, il s’agit d’un retravail de l’œuvre, ce qui signifie qu’au-delà du producteur, le droit moral de l’auteur, qui n’est pas cessible, est concerné.

Face à ces questions apparemment théoriques mais en fait concrètes pour le bibliothécaire qui souhaite faire une projection, face aux nombreux acteurs très divers et qui souvent se connaissent mal, Isabelle Pascal conclut que la sécurité totale n’est pas possible mais conseille aux bibliothèques de mettre en place une méthodologie pour négocier des droits, de repérer les acteurs y compris locaux, de délimiter précisément par la voie contractuelle les cessions de droits et, dans les marchés publics, de préciser quelle utilisation des supports la bibliothèque compte faire.

Adapter la réglementation pour résoudre les problèmes

Michel Berthod, inspecteur général au ministère de la Culture, vient essentiellement présenter le rapport « sur la projection non commerciale des films » qu’il a rédigé pour le Ministère à la demande du CNC (Centre national de la cinématographie) 1. Après avoir expliqué le système français d’exploitation commerciale (la TSA, taxe spéciale additionnelle, alimentant le compte de soutien reversé aux exploitants du cinéma commercial), il donne une définition de la projection non commerciale dont les projections publiques en médiathèque font partie : c’est une projection sans TSA. Il estime qu’elle ne concurrence pas le cinéma commercial puisque qu’elle ne représente que 1 % des projections de films. Enfin, il pense qu’à côté de la représentation publique, il y a place pour une notion de consultation collective, à condition qu’elle concerne un groupe fermé et limité, sur un répertoire non concurrentiel et prenant en compte le contexte local (présence d’un ciné-club ou d’un cinéma en situation d’exploitation difficile, par exemple).

Pour Marie-Christine Leclerc-Senova, représentante de la Scam (Société civile des auteurs multimédia), quand un auteur adhère à une société d’auteurs, non seulement il délègue la gestion des droits mais il touche aussi des droits, ce qui n’est pas forcément le cas, précise-t-elle, quand c’est le producteur qui les gère. Craignant les plates-formes numériques et le piratage, les sociétés d’auteurs sont contre les exceptions de la directive européenne concernant le droit d’auteur et les droits voisins. Car ces exceptions porteraient atteinte à la préservation de la voie contractuelle alors que les sociétés d’auteurs se disent capables de gérer tous les cas (identifier les interlocuteurs et délivrer les autorisations) et de gérer ainsi l’ensemble de la chaîne des droits.

Des fournisseurs prestataires de services

L’après-midi tourne autour des fournisseurs, ceux-ci étant des organismes privés ou institutionnels se chargeant de négocier des droits de reproduction et de diffusion pour des œuvres audiovisuelles qui sont ensuite proposées sur catalogue aux acheteurs comme les bibliothèques.

Catherine Blangonnet présente le catalogue national des films documentaires pour les bibliothèques aujourd’hui diffusé par la Bpi 2. Se situant dans une perspective surtout historique, elle expose le rôle important que l’action du ministère de la Culture et de la Bpi a eu dans la reconnaissance actuelle du documentaire.

Isabelle Gérard-Pigeaud du CNC présente le catalogue Images de la culture et Simone Vannier celui de l’association Documentaire sur grand écran, spécialisée dans la projection publique. Les deux insistent sur leur rôle de conseiller auprès des médiathèques, voire de prestataires de services. Boris Spire conclut de façon motivante et tonique la série des interventions en présentant l’expérience de son cinéma « L’écran » à Saint-Denis.

Deux sujets ont dominé le débat : les rapports des médiathèques avec leurs fournisseurs et la consultation sur place collective. Ce dernier point fait l’objet d’une explication de la part de l’Adav (Ateliers diffusion audiovisuelle), fournisseur privé qui propose ce type de droit. Ce fournisseur précise qu’à côté du prêt à domicile et de la projection publique, souvent jugée trop onéreuse par les bibliothécaires, il propose un troisième type de droit, beaucoup moins cher mais avec des droits de projection réduits. À chacun de faire son choix, le respect des contrats étant intangible. Concernant le premier sujet, les deux parties ont semblé s’accorder pour souligner l’intérêt de se connaître mieux, un fournisseur privé proposant à ses homologues de clarifier leur offre de droits et les prestations qu’ils assurent.

Côté bibliothécaire, c’est l’obligation des marchés qui fait craindre une liberté restreinte de choix. À cet égard, une meilleure connaissance des procédures ne permettrait-elle pas de lever ces craintes ? Un lieu de mise en commun des clauses de CCTP (cahier des clauses techniques particulières), destiné à aider les vidéothécaires à rédiger le leur, serait peut-être également opportun. L’association Images en bibliothèques ne pourrait-elle pas être ce lieu ?