Politiques documentaires et gestion des coûts
Annie Le Saux
La quatrième journée d’étude du groupe Poldoc, groupe de réflexion sur les politiques documentaires créé en 1999, qui s’est tenue le 20 septembre dernier au Centre Georges Pompidou, à Paris, était consacrée à la dimension financière de la politique documentaire 1.
Roswitha Poll, de l’université de Münster, analysa tout d’abord minutieusement tous les coûts appliqués à la stratégie documentaire. Après avoir défini les termes de management, comptabilité analytique d’exploitation, gestion des coûts, elle a exposé sa démarche qui consiste à déterminer, à partir du montant total des coûts (en personnel, en temps, en documentation…), le coût unitaire d’un service ou d’une opération, et à élaborer des indicateurs de performance, moyen efficace d’évaluer la qualité d’une collection (titres, usages) et surtout des périodiques et son adéquation aux besoins des utilisateurs. Qu’est-ce qui change si l’on passe d’une collection papier à de la documentation électronique ? Disons, bien que cela soit déjà connu, que, pour la bibliothèque, cela se traduit entre autres par le déclin de services traditionnels tels que le prêt, les photocopies, par une diminution des coûts de stockage, de reliure, et, pour l’usager, par un accès de quelque endroit que ce soit, 24 heures sur 24, des possibilités de recherche élargies, un gain de temps, etc.
Sous un angle différent, celui de la volumétrie des collections et du choix intellectuel des ouvrages, liés aux changements de contexte tant géographiques, politiques que budgétaires, François Mathon (Bibliothèque nationale de France) a retracé l’évolution de la politique d’acquisition de la BnF, depuis la rue de Richelieu, en passant par l’Établissement public de la Bibliothèque de France à Évry, jusqu’à Tolbiac, de 1995 à 2005. Tout au long de ce parcours, les bibliothécaires, devenus acquéreurs puis chargés de collection, experts thématiques, ont vécu le passage d’une phase d’argent facile à une phase où les crédits se sont faits plus rares. À cette situation difficile s’est ajoutée une hausse des coûts des ouvrages en général, mais surtout des périodiques, qui s’est traduite, en 2005, par la suppression de 250 abonnements 2. En cette période de restriction budgétaire, une politique documentaire partagée semble la solution la mieux adaptée.
C’est pour déterminer les choix et les critères d’acquisition des bibliothécaires dans un contexte budgétaire peu favorable, que Claude Poissenot, a mené une enquête avec les étudiants de Nancy 2, dont il rappela les résultats, dans une intervention qui fut sujette à controverse.
Carel et Couperin
Une façon de lutter contre les coûts de la documentation électronique est de s’organiser collectivement, ce que fait un certain nombre de bibliothèques en se regroupant en consortiums. Carel 3, consortium pour l’acquisition de ressources électroniques en ligne pour les bibliothèques publiques, né en 2002, rassemble 60 bibliothèques municipales, nombre que Sophie Danis (Bibliothèque publique d’information) souhaiterait voir augmenter pour faire de ce consortium un réel groupe de pression. Parmi les perspectives envisagées pour Carel, citons l’amélioration de l’information des établissements, le développement de la coopération et l’élargissement de l’offre de titres, dans un contexte éditorial français encore faiblement développé.
Couperin 4, second consortium présent à cette journée, est né en 1999 pour faire face à un marché en pleine évolution. François Cavalier (directeur du SCD de l’université Lyon 1 Claude Bernard) voit dans l’explosion électronique une opportunité pour les bibliothèques universitaires. Outre ce que l’on cite habituellement, à savoir une offre documentaire considérablement augmentée associée à des services à valeur ajoutée accessibles en continu, François Cavalier a souligné l’occasion précieuse car rare que procure cette documentation de discuter de politique documentaire dans les conseils scientifiques et les conseils d’administration des universités et donc d’informer et de former la communauté universitaire. Il passa en revue les différents modèles économiques proposés par les grands groupes éditoriaux (papier + électronique, tout électronique, nombre d’utilisateurs, prix à la transaction), évoqua les effets de ce nouveau mode d’accès (évaporation de la notion de collection, uniformisation de l’offre, droit d’usage et non plus acquisition d’un document, droits d’archivage mal assurés…), le financement par l’État et, de plus en plus, par les universités, dont certaines partagent la facture au prorata des enseignants-chercheurs.
Cette évolution voit aussi l’enseignement supérieur et la recherche se rapprocher et leur commune réflexion à une politique nationale de la communication scientifique se développer.
Des outils d’évaluation et de gestion des coûts
S’appuyant sur des exemples concrets, Bertrand Calenge (bibliothèque municipale de Lyon) a présenté deux outils pratiques destinés à évaluer les coûts dans la politique documentaire quotidienne. Le premier, un tableau de suivi prévisionnel budgétaire des acquisitions, a pour but de montrer à la tutelle « l’évolutivité d’une collection vivante », dans la vie de laquelle interviennent divers paramètres (vol, obsolescence, usure…). Le second propose une modélisation graphique de l’évolution prévisionnelle d’une collection. « Outil d’appropriation personnelle de la politique d’acquisition », ce tableau de bord à l’intention des acquéreurs permet à chacun d’entre eux de situer ses acquisitions dans une politique générale d’acquisition et leur donne les moyens d'« élaborer et de suivre leurs objectifs en intégrant cet outil dans le travail quotidien ». Cet outil a cependant quelques limites : il ne s’intègre pas pour l’instant dans le SIGB et les périodiques ne sont pas concernés.
Un autre exemple concret fut donné par Thierry Giappiconi (bibliothèque municipale de Fresnes), qui a présenté un tableau de bord de suivi du développement des collections, s’appuyant sur l’expérience de la BM de Fresnes. Afin de mieux maîtriser les activités de la bibliothèque (acquisitions, désherbage, conservation), de mieux prévoir les coûts et de mieux arbitrer le choix des dépenses, la bibliothèque a conçu des outils de programmation. Pour Thierry Giappiconi, le plan de développement des collections constitue un outil de référence et de dialogue avec les autorités territoriales, avec l’équipe professionnelle, et avec les usagers et la population. Il rend possible la mise en œuvre d'« un management décentralisé fondé sur l’initiative et la responsabilité des membres de l’équipe ».