Bibliothèques : un voyage de découvertes
71e congrès de l'Ifla
Antoine Carro-Réhault
Les congrès de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions (Ifla) sont une occasion annuelle de faire la lumière sur les questions et les débats qui agitent le milieu professionnel des bibliothèques *. Celui d’Oslo, en août 2005, s’il n’a pas complètement failli à cette mission, n’a cependant pas fait surgir de concepts nouveaux dans le débat d’idées, si ce n’est une tendance des autorités en charge des bibliothèques à regrouper de plus en plus les ser-vices centraux ou locaux des bibliothèques avec ceux des archives et des musées.
La recherche des partenariats
Sous le libellé « Partenariats », qui illustre le programme du président à venir de l’Ifla, l’Australien Alex Byrne, cette question a été traitée comme une évolution utile et nécessaire en termes de contenus, mais aussi (et surtout) de rationalisation inévitable des moyens attribués aux services culturels. C’est bien sûr également la perspective de favoriser un financement par le biais du mécénat, ou du secteur privé, pratique touchant aujourd’hui davantage les musées, qui motive cet appel au rapprochement, voire à la fusion de ces services.
Au-delà de ces préconisations, une session, organisée le 16 août par la bibliothèque publique d’Oslo et la Division des bibliothèques servant le grand public, a permis de relancer, à travers le thème du partenariat, un débat autour des missions de la bibliothèque publique et de l’évaluation de ses résultats. Car la question du partenariat fait aussitôt surgir celle du débat autour de l’évaluation, de la valeur des services d’information et de bibliothèques.
À ce propos, Svanhild Aabø, de l’université d’Oslo, cherche à évaluer l’impact social de la bibliothèque. Dans une enquête soulignant le rôle social (de lien, de lieu de prise de confiance en soi de l’usager, de lieu éducatif qui promeut l’équité et offre les mêmes services à tous, etc.), elle recherche une valeur économique à la bibliothèque qui ne soit pas le simple synonyme des financements qui y sont attachés. En questionnant le lecteur sur la valeur financière qu’il investit dans la lecture publique, elle fait ressortir la valeur sociale et humaine attachée à la dépense consentie… et qui conforte (aujourd’hui encore) la présence de la bibliothèque publique comme lien social fort.
Partenariat, encore, à travers la Fondation Bill et Melinda Gates, partenaire financier des bibliothèques depuis 1997, pour l’aide à la construction et à la formation. À travers l’exemple de projets soutenus, la leçon retenue de ces partenariats est qu’il ne faut pas négliger les collections, qu’il faut les maintenir et les améliorer, alors que l’on cherche toujours de nouveaux services à offrir, ce qui nous fait solliciter des partenariats.
Autre type de partenariat, autour des contenus proposés en bibliothèque, lors de la session du 17 août, « The library as a hotspot », qui présentait la bibliothèque publique comme lieu privilégié pour l’initiation à Internet, la production de projets numériques et le développement de services numériques. Un intervenant suggère que les services à forte valeur ajoutée doivent être proposés dans les bibliothèques, qui peuvent devenir des lieux de diffusion d’œuvres numérisées, des lieux d’échange et de télé-chargement grâce à un équipement wifi et large bande de qualité. La bibliothèque devient elle-même hotspot (point d’accès sans fil à Internet). Le problème n’est pas technique, il est de fournir des contenus.
Au Danemark, ont été lancées des expériences autour d’un réseau de musique numérique où les lecteurs peuvent avoir accès pendant une période d’un à sept jours à des contenus numériques. Ce réservoir contient actuellement 100 000 titres et est interrogeable en 12 langues par les usagers. Ce réseau, ouvert 7 jours sur 7, est un nouveau type de bibliothèque.
Le défi des politiques culturelles à l’ère numérique
A contrario, en Norvège, l’idée d’une production éditoriale de plus en plus dématérialisée renforce le besoin d’un lieu social, d’un lieu culturel, la bibliothèque, dans la mesure où les ségrégations que fabrique Internet (communautarisme) sont le plus souvent atténuées à la bibliothèque, et que c’est la base d’une politique multiculturelle à construire.
Lors de la session du 16 août, l’intervention de Åse -Kleveland, de l’Institut suédois du film et du Bureau des films scandinaves, à Oslo, autour des dangers d’une ségrégation fabriquée par Internet a été une des très rares, parmi la multiplicité des interventions et des thématiques déclinés lors de ce congrès, à ne pas baigner complètement dans le consensus de la mondialisation électronique.
Peu de critiques ont été formulées face à des affirmations qui pourraient choquer ; ainsi l’idée émise plusieurs fois que les bibliothèques se devaient de proposer aux usagers tout ce qu’ils demandaient… De plus en plus de bibliothèques, inspirées par le modèle scandinave et anglo-saxon, veulent développer des services qui sont, en France, offerts par des structures diverses, centres sociaux, écoles de musique, Agence nationale pour l’emploi et missions locales. Le rôle social qui appartient aussi aux bibliothèques ne justifie pas à mon sens de leur greffer des services sociaux, ou d’aide à l’immigration. L’apprentissage des langues peut être mis en valeur et facilité par la bibliothèque. Faut-il, au-delà, ouvrir dans les bibliothèques un centre multimédia d’apprentissage des langues ? La volonté même de tout proposer en bibliothèque ne disqualifie t-elle pas dans une certaine mesure l’idée du partenariat ?
Le métier, à entendre de plus en plus de participants au congrès, doit se diversifier. Je crois, pour ma part, que les bibliothécaires ne peuvent faire tous les métiers, et que le lieu bibliothèque doit rester avant tout un lieu de rencontre, de curiosité culturelle, de recherche de savoir. Il peut accueillir d’autres activités, il en organise beaucoup autour de l’action culturelle. La bibliothèque ne peut prétendre être la seule institution luttant contre l’illettrisme, la pauvreté, les maux de notre société ; elle a tout intérêt à multiplier ses partenariats autour de ceux qui exercent leur métier dans ces domaines, et leur apporter, voire « délocaliser » l’efficacité de ses ressources documentaires et humaines.