Marchés, ça marche, mais est-ce bien ce qu'il nous faut ?

Marie-Laure Faliero

À la médiathèque départementale de Haute-Garonne, les marchés – nous en sommes à notre second – ont concerné tous les supports, pour une somme totale d’environ 530 000 euros.

Le premier a été difficile à monter, un vrai casse-tête : 19 lots ! (encore un peu plus pour le second). Et nous avons toujours mis en avant les critères de qualité de service avant ceux des remises.

À notre grande surprise, nos principaux fournisseurs habituels, ayant pignon sur rue, n’ont même pas soumissionné ! Au second marché, on est retombé quasiment sur les mêmes. Des lots sont restés en rade : livres en langues étrangères ; documents audiovisuels sur le grand sud. Il a fallu trouver des solutions qui aient la bénédiction du bureau des marchés, du service de la concurrence et des prix…

Mise en place cahin-caha, longue pé-riode sans commande, difficulté pour acheter des livres en gros caractères et des livres d’artistes, des documents audiovisuels et électroniques, quasi-impossibilité d’avoir des imports, fournisseurs ayant abandonné pour différents motifs, tels ont été les aléas rencontrés lors du premier marché.

Au second marché, la doctrine s’assouplit et on a enfin le droit d’acheter « hors marché » (ouf !) des livres en gros caractères et des livres d’artistes, de faire des lots analogues pour avoir deux fournisseurs de DVD…

Néanmoins, malaise chez l’ensemble des collègues : d’une culture professionnelle en vertu de laquelle on constitue d’abord des acquisitions puis on cherche à obtenir les documents, on passe à une logique de contrat où l’on cherche à obtenir d’un fournisseur, qui peut être subi plus que choisi, un document. Le fournisseur étant menacé de pénalités s’il ne fournit pas. Relations sympas…

Toujours est-il qu’on est passé d’environ 200 fournisseurs à une quinzaine. La variété des titres s’est rétrécie du même coup, car tout notre réseau de fournisseurs nous faisait découvrir auparavant toutes sortes de titres qui font aussi la richesse éditoriale de la France et d’ailleurs, et je ne peux pas m’empêcher de regretter les échanges riches et passionnants qu’on a pu avoir avec certains libraires et diffuseurs… Avec le temps, certains de mes collègues disent qu’à terme, les fonds des bibliothèques vont se ressembler… Finis les livres hors circuits commerciaux, les souscriptions, les numéraux spéciaux des revues, le titre qu’on nous envoyait de l’autre bout du pays, le disque exhumé de l’autre bout de la planète…

Très mauvaise affaire aussi pour les petits diffuseurs qui sortaient des sentiers battus, tous pourraient vous le dire et nous l’ont dit. Finis les imports ou presque, quant aux DVD, ce fut le casse-tête de la commission d’appel d’offres, avec les droits acquis et tout le tremblement, l’achat hors marché, c’est la croix et la bannière. Sans compter qu’on en a pris plein la figure de la part des libraires, locaux ou pas d’ailleurs, accusés de tous les maux. Nous avons trouvé cela très injuste, étant les premiers à souffrir de la procédure et ayant fait un cahier des charges honnête. C’est ainsi qu’on a dû cesser d’aller dans les principales librairies de la ville, et demander des offices (l’un malheureusement ne remplaçant pas l’autre).

Depuis on vit quand même, on achète, mais le service impeccable de certains fournisseurs a été perdu, à jamais je pense : fin d’une époque ?

Certains fournisseurs sont sur la paille ou presque, et pas les plus gros, bien sûr. On est en pleine logique économique contemporaine. Mais pour l’administration, tout se passe bien. Pour nous, la vie n’est plus la même. En plus, on a perdu les remises. Seront-elles toujours compensées ?

La suite : peut-être les périodiques.

La morale de l’histoire ? Y a-t-il une morale quand les collectivités font des mises en concurrence pour des formations, des animations, des prestations sociales ?

Mais ce sont les AGCS (Accord général sur le commerce des services, Gats en anglais), si je ne m’abuse…