L'action publique et la question territoriale
Sociologues, doctorants, chercheurs en sciences politiques (Alain Faure) *, spécialistes des politiques culturelles (Guy Saez), urbaines, éducatives, des questions liées à la délinquance, des dynamiques territoriales, les auteurs ont ouvert en 2002, au sein du Cerat (Centre de recherche sur l’administration, le politique et le territoire), un débat collectif pour tenter de mieux intégrer les dynamiques territoriales dans leurs analyses sur les politiques publiques. Le contexte de production des politiques publiques s’est en effet considérablement complexifié « au fil de la construction européenne, de l’internationalisation des marchés, des délocalisations, du développement des pouvoirs régionaux et métropolitains, des nouvelles revendications identitaires, de la transformation continue des États-providence… ».
Assumant les « tâtonnements théorico-méthodologiques » de cette démarche collective, l’ouvrage est structuré en deux grandes parties regroupant douze contributions. Dans « Les politiques sectorielles à l’épreuve », les textes appuient leur analyse sur un type d’intervention en particulier (l’éducation, le logement, la formation professionnelle, la sécurité, les risques, le développement rural). La seconde partie, « Les nouvelles territorialités de l’action publique », rassemble des études qui évoquent d’abord l’émergence de dynamiques dites territoriales (le patrimoine identitaire, les produits de terroir, l’éligibilité intercommunale, le pouvoir d’agglomération, la culture dans les villes, le développement social urbain).
Autant dire que résumer cet ou-vrage relève de la mission impossible, tant il serait réducteur de proposer des lignes de force ou des généralisations. Pas de réponses toutes faites : ici, les hypothèses connues (État creux, standardisation des politiques publiques, retour du local, fin du politique) sont nuancées et les généralités interdites. Pour inciter à la lecture de cet ouvrage stimulant, on ne peut que pointer quelques-unes des questions posées.
Qu’est-ce que la question territoriale révèle dans les façons de penser les changements de l’action politique ? Quelles sont les influences qui traversent la prise de décision politique contemporaine à l’échelon local ? Y a-t-il une transformation radicale des normes de l’action publique aujourd’hui ? Comment certains départements en sont-ils venus à aller bien au-delà de leurs obligations en matière de patrimoine, quelle est l’ampleur symbolique des produits du terroir ? Comment les grandes corporations professionnelles sont-elles aussi porteuses de grands récits nationaux, basés sur la rhétorique vertueuse de la solidarité et de l’universalité, et comment le local s’en empare-t-il ? Comment jouent dans les villes les anciennes valeurs (centralité, segmentation) et les nouvelles (proximité, identité, réactivité) ? Comment les présidents de pays deviennent-ils plus légitimes que les maires ou présidents de conseils généraux ? Comment les présidents d’agglomération deviennent-ils, avec le préfet, les « grands horlogers » de l’ordre public métropolitain ? Comment les conseils généraux bâtissent-ils une stratégie leur permettant de ne pas laisser la région prendre trop d’importance sur leur territoire et de contrecarrer les pays qui les remettent en cause ? Comment les villes tentent-elles de lutter contre la puissance de l’Éducation nationale ? Comment le processus de redéfinition des normes, des outils et des configurations d’acteurs dépasse-t-il le simple transfert des blocs de compétences ? Quelles sont les logiques de composition de l’exécutif intercommunal ? Ne peut-on reconsidérer les définitions sur l’intérêt général et prendre au sérieux les interpénétrations entre les intérêts particuliers et les intérêts locaux que les politiques d’agglomération donnent à voir ?
Suite à cette énumération de questions, l’impression de foisonnement confus est sans doute la même que celle qui étreint le lecteur au sortir de l’ouvrage. Il n’en reste pas moins que celui-ci déclenche une double jubilation contradictoire : celle de l’approche scientifique des phénomènes sociaux qui rend intelligible le réel, celle du sentiment que toujours celui-ci échappe au discours et mène la danse.