La lecture dans tous les sens
ISSN 0223-3592 Abonnement (4 numéros) : 28 € Le numéro double : 14 €
Le Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN), mouvement rassemblant des enseignants engagés dans la mise en œuvre de « pratiques transformatrices » en matière d’éducation, consacre un numéro de sa revue trimestrielle, Dialogue, à la question de la lecture.
Au-delà du jargon des IUFM
Il s’agit d’articles pour la plupart dédiés à la lecture dans le cadre de l’école primaire, éclairant ainsi les premiers stades de l’apprentissage dans ce contexte. L’éditorial précise d’emblée la position du GFEN : il n’y a pas de régression de la maîtrise de la langue depuis un siècle à l’école, mais au contraire une progression, et celle-ci s’accompagne d’ambitions toujours plus fortes, jusque-là réservées à une minorité d’élèves (ambitions nouvelles, en particulier en ce qui concerne la rédaction et la lecture, qui inclut désormais des textes de littérature). Dans ce contexte, « l’École mérite davantage d’être soutenue qu’accusée ».
La revue rassemble ainsi une trentaine d’articles, pour la plupart témoignages et analyses de pratiques, émanant d’enseignants, de didacticiens membres du groupe, mais également d’autres « praticiens » (créateurs : poètes ou plasticiens)… Le GFEN s’appuie en effet dans sa pratique sur des ateliers d’écriture ou d’arts plastiques, visant ainsi à réaliser l’idéal (égalitaire) d’un de ses slogans : « Tous créateurs, tous capables. »
Si l’on arrive à passer outre le jargon technique (spécifique aux instituts de formation des enseignants, et qui voudrait parfois régler la communication entre ceux-ci) ou la sécheresse de quelques présentations didactiques, il y a alors matière (pour ceux qui n’y ont pas accès usuellement) à découvrir quelles pratiques d’apprentissage sont mises en place avec les élèves les plus jeunes : entrée dans la lecture par le déchiffrage progressif du texte d’une affiche (Pascale Billarey), échange de correspondance entre classes (Marie-Claude Sallemand), lecture d’un album de jeunesse (Dominique Pivetaud), travail sur l’oralisation à travers la transmission d’un conte (Marie Serpereau), etc. Autant de démarches qui visent à rendre l’élève actif, curieux, chercheur, dans ses processus d’appropriation de la langue, de la lecture et de la culture.
Lire de « vrais » textes
Au-delà de certaines divergences, la plupart des auteurs reconnaissent l’existence d’un consensus, dans le débat, maintenant ancien, opposant un apprentissage de la lecture par le « code » (méthode traditionnelle, dite syllabique) ou par le « sens » (méthode moderne, dite globale ou semi-globale), un équilibre, une tension entre l’un et l’autre pôles s’étant établis.
Dans le prolongement de ces oppositions, l’article d’analyse, proposé par Laurence Pasa et Jacques Fijalkow, sur la question de « Simplifier la langue ou la présenter dans sa complexité ? » tend à prouver l’efficacité de la seconde manière sur la première, proposée par la plupart des manuels scolaires et largement reprise par les enseignants. Dans tous les cas, les auteurs préconisent une entrée dans la langue par la littérature, ou par de « vrais » textes.
Du côté des analyses encore, Jacques Bernardin (« Les malentendus face à l’apprentissage ») rappelle les difficultés auxquelles se heurtent les enfants issus de milieu populaire face à la lecture, et propose quelques manières d’y remédier.
D’autres articles diversifient les perspectives : lecture d’un texte philosophique, lecture dans le domaine « technique » du dessin industriel, pratique artistique, français langue étrangère… On reconnaît une certaine richesse à cette diversité, mais elle amène peut-être à une confusion quant au sens à donner au mot « lecture » : celui-ci aurait sans doute gagné à être explicité.
Plusieurs entretiens ou témoignages viennent par ailleurs compléter ces approches par le récit d’autres expériences, hors ou en marge de la classe : rôle des animatrices passeuses de livres dans les PMI (protection maternelle et infantile), démarche de bibliothécaires, effets du prix Goncourt des lycéens, rencontre avec des écrivains, etc.
Enfin, un « vrai » texte de Valère Novarina, intitulé « Brûler les livres », rappelle que la lettre et le souffle existent, vivant dans la matière du langage : « Un livre n’est pas un échange de signaux entre bêtes d’une même espèce qui se repèrent, mais un voyage hors d’homme : […] la langue est anthropogène. Lire ressuscite et fait que se lève un autre entre nous : un troisième, ni toi ni moi. » Il nous rappelle ainsi ce que c’est que lire, au-delà des discours sur la lecture et des contorsions des pédagogues, d’aussi bonne volonté soient-ils.