Horreur, angoisse et fantastique
De quoi les bibliothèques ont-elles peur ?
Anne Le Foll
L’association Horschamp organisait le 14 avril dernier à Paris, dans les locaux de l’Association pour le développement de l’animation culturelle (Adac), en partenariat avec l’Association des bibliothécaires français et Images en bibliothèques, une journée d’étude consacrée à la place des films de genre dans les collections des bibliothèques publiques.
L’objectif de cette journée était de proposer aux responsables des collections audiovisuelles une approche du cinéma de genre leur permettant de choisir, d’acquérir et de diffuser des films considérés comme « de mauvais goût ». En outre, Franck Caputo, président de l’association Horschamp et directeur des Affaires culturelles de Bondy, a soulevé la question des politiques documentaires, insistant sur la nécessité de tracer les priorités et les limites du champ d’acquisition des vidéothèques publiques.
Définition et historique des genres
Le cinéma subit le même sort que la littérature : il existe un « bon cinéma » (classique) et un « mauvais cinéma » auquel appartiendrait le cinéma de genre. Le cinéma de genre désigne les films qui ne se distinguent ni par leur réalisateur ni par leurs interprètes mais par le genre auquel ils appartiennent. Il est souvent synonyme de cinéma d’exploitation par opposition à ce que valorise ordinairement la critique cinématographique, à savoir l’auteur et la vision personnelle d’un cinéaste. D’où l’idée souvent toute faite que ces films sont interchangeables car le cadre de l’action et les codes y sont identiques. Il arrive cependant que des auteurs transcendent les conventions d’un genre. Les intervenants de la matinée ont cherché à préciser les spécificités de ce cinéma et se sont efforcés de réhabiliter cette cinématographie souvent mal jugée, en la mettant en perspective par rapport à l’histoire du cinéma mondial.
L’objet d’étude de cette journée était limité à quatre cinématographies : le cinéma fantastique, le cinéma d’épouvante, le cinéma d’horreur et le cinéma gore, dont Axel Charreyron, bibliothécaire à Gentilly, a présenté les caractéristiques.
Gilles Lalou, journaliste de cinéma, a évoqué les personnages mythiques et a décrit les origines du cinéma fantastique, rappelant que Méliès avait été le premier à introduire du fantastique au cinéma. Furent évoqués également les réalisateurs les plus représentatifs du genre (Roger Corman, Jacques Tourneur, Mario Bava, Dario Argento, David Cronenberg…) et les studios qui les ont produits.
Sociologie des publics
Le cinéma de genre marche bien en salle. Ces dernières années, des films comme Scream, Le projet Blair Witch, Ring, Le cercle ont réalisé des millions d’entrées. La France, sur ce terrain, n’est pas en reste puisqu’elle produit de plus en plus de films de genre, tels Les rivières pourpres, Belphégor, Le pacte des loups, qui remportent un grand succès auprès du public et principalement du public jeune. Le câble, la vidéo et le DVD ont favorisé en outre la connaissance de ce cinéma et donnent à ces films une seconde chance d’exister. Les actrices n’hésitent plus à jouer au cours de leur carrière dans des films de genre : Wynona Ryder (Dracula, Edward aux mains d’argent…), Uma Thurman (Batman, Kill Bill…), Naomi Watts (Mulholland Drive, Le cercle 2, King Kong…), Nicole Kidman (Les autres).
Patrice Verry, négociateur en droits audiovisuels, remarqua que « le cinéma fantastique est devenu, depuis les années 1980, un produit de masse. Il a tendance à s’uniformiser en répondant à ce qu’en attend le public ».
Éric Mallet (Vidéothèque de Puteaux) a donné dans ses collections une priorité aux films de genre puisque ceux-ci représentent 1/3 des collections (contre 1/3 de films classiques et 1/3 de films récents). Selon ses estimations, les amateurs de films de genre sont à 80 % des hommes, souvent jeunes, et leurs goûts sont circonscrits à des domaines très précis : la science-fiction et la bande dessinée. Le reste des usagers se partage entre ceux qui recherchent essentiellement des « nouveautés » et qui n’empruntent que rarement des livres et les amateurs de « classiques » et de films d’art et d’essai qu’il juge « plus ouverts » car moins limités dans leurs choix. Il remarque aussi que les passionnés de films de genre apprécient les échanges qu’ils peuvent avoir avec lui. Il considère que les vidéothécaires sont des « passeurs de films » comme l’étaient les critiques de cinéma pour Serge Daney.
Christine Soulas (Bibliothèque municipale de Gentilly) explique le succès du cinéma de genre auprès des adolescents par le rôle qu’il joue dans leur éducation. S’appuyant sur l’idée que la peur est un ressort de l’éducation traditionnel, le cinéma fantastique, selon elle, permettrait aux adolescents, par le biais de l’identification aux personnages, d’expérimenter la peur sans courir de danger. Les films d’angoisse et les films d’épouvante, visionnés collectivement, constitueraient des « rites de passage » entre l’enfance et l’âge adulte dans une société où ceux-ci font défaut.
Films de genre et médiathèques : quelle légitimité ?
Les vidéothécaires sont soumis à plusieurs contraintes dans leurs acquisitions : les budgets (en baisse depuis quelques années), les problèmes de droits, les demandes des usagers, la politique d’acquisition menée par l’établissement et ils doivent trouver un compromis entre toutes ces contraintes.
Les collections des bibliothèques publiques donnent généralement la priorité aux films classiques. Elles se distinguent en cela des vidéoclubs qui travaillent dans une démarche uniquement commerciale, privilégiant les films récents, jugés plus rentables.
Or en quoi peut-on dire qu’un film constitue une référence ? Qui décide ? Le public ou la critique ? À l’instar des autres arts, les critères d’appréciation d’une œuvre passent d’abord par la critique et par les historiens et ce sont eux qui décident de légitimer ou non une œuvre. Franck Caputo donne l’exemple de Hitchcock qui, jusque dans les années 1960, était considéré comme un artiste mineur. Il a fallu attendre les cinéastes de la Nouvelle Vague pour qu’il soit reconnu comme un grand réalisateur.
Cependant, avec le développement de la vidéo, les sources de légitimisation des films se diversifient. L’enquête du ministère de la Culture menée auprès des Français sur la culture cinématographique 1 montre que la cinéphilie ne passe plus uniquement par la fréquentation des salles de cinéma. Elle trouve maintenant d’autres relais : dans le commerce, dans les vidéoclubs ou dans les médiathèques. Les cinéphiles nourrissent leur passion sur grand écran et chez eux. Ce qui prévaut, c’est le cinéma sous toutes ses formes. La salle de cinéma et la vidéo ne sont pas concurrentes, au contraire, elles se partagent le même public.
Les médiathèques ont donc un rôle important à jouer dans le développement de la cinéphilie. Elles représentent, selon Franck Caputo, « un lieu d’expérimentation », permettant au public de découvrir des œuvres méconnues en bénéficiant des recommandations des vidéothécaires. C’est pourquoi il est nécessaire de donner aux responsables des collections audiovisuelles des instruments qui les aident à se repérer entre ce qui relève de la production culturelle et ce qui relève uniquement du cinéma commercial, et ce d’autant plus quand il s’agit de cinématographies plus « marginales » (n’intéressant pas la critique cinématographique courante).
Cette journée d’étude se voulait un exemple de ce qui pouvait être offert en matière de formation des vidéothécaires. C’est du reste dans la même perspective qu’a été conçu le site de l’association Horschamp, Pendulum 2, proposant des critiques de films, des informations sur les festivals, un forum de discussion…