Historicités de l'action publique
Paris : Presses universitaires de France, 2003. – 540 p. ; 24 cm.
ISBN : 2-13053741-3 : 24 €
Ce gros livre (540 pages) constitue les actes du colloque « L’historicité de l’action publique », organisé à Amiens en octobre 2000 par le CURAPP (Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie) et le GSPM (Groupe de sociologie politique et morale). Il compte 22 contributions dont il est, évidemment, difficile de rendre compte exhaustivement.
Quel est le propos ? Il s’agit de s’interroger sur la dimension historique de l’action, ici l’action publique : à la fois les conditions historiques (« les constellations historiques », disent même les éditeurs de l’ouvrage) qui permettent de rendre compte des logiques d’action mais aussi la construction (institutionnalisation, légitimation) des secteurs ou problèmes de l’action publique.
Des constellations historiques
Ainsi, Charles Tilly analyse la désintégration de l’Union soviétique, Chloé-Anne Vlassopoulou la lutte contre la pollution de l’air, Alain Desrosières l’histoire des outils de rationalisation (dont les statistiques) ou Nicolas Dodier les débuts de la mobilisation contre le sida. Chacun, dans son registre, mobilise un « espace-temps de référence » (Nicolas Dodier) qui est seul à même de rendre compte de l’action des acteurs, de leur argumentation, des forces en présence, des temporalités qui se dégagent – avec leurs jeux d’échelle : de quelques heures pour une conférence de presse à une décennie pour « la constitution d’un pouvoir des patients ».
Le temps n’est pas homogène, ni linéaire. L’action publique n’est pas basée sur les « principes de la rationalité, de l’objectivité et de l’efficacité » (C.-A. Vlassopoulou). La mise en cause du positivisme dominant a permis d’élargir l’analyse des politiques publiques à l’approche historique. C’est cette dimension historique qui permet de comprendre, par exemple, le traitement de la pollution industrielle par rapport au traitement de la pollution automobile : les acteurs, le rapport de forces entre les acteurs et les dispositifs d’action publique (ministère de l’Environnement, ministère des Transports, ministère de l’Industrie, ingénieurs des mines, industriels, constructeurs automobiles), depuis deux siècles, expliquent la progressive mise en avant de la pollution automobile par rapport à la pollution industrielle.
La construction des problèmes
Ce ne sont pas seulement les acteurs ou les rapports de force qui évoluent au fil du temps. Ce sont aussi les secteurs mêmes de l’intervention publique, l’objet même de l’action publique. Vincent Dubois avance que « les pouvoirs publics répondent moins à des problèmes préexistants qu’ils ne les construisent » et, pour illustrer ce propos, prend l’exemple de l’exclusion (on pourrait aussi prendre celui de l’illettrisme). Dans le domaine culturel, il aborde la question de la catégorisation des « problèmes culturels ». Ainsi, le prix du livre et les tags sont sortis l’un d’une catégorie économique, l’autre d’une catégorie judiciaire, pour entrer dans le domaine culturel, ce qui entraîne des conséquences sur le traitement (l’action publique) qui leur est appliqué : « le prix unique du livre ou la libre concurrence, les taggers exposés dans des musées ou verbalisés par la police ».
Ce processus de reconnaissance a « des effets indissociablement symboliques et pratiques. Chacun sait en ce domaine que la qualification “socioculturelle” plutôt que “culturelle” d’un projet équivaut non seulement à une relégation mais conduit également à changer d’interlocuteurs (les services du ministère de la Jeunesse et des Sports au lieu de ceux de la Culture) et à réduire sensiblement les possibilités de financement public » (Vincent Dubois). Ce qui est vrai en France ne l’est pas au niveau européen où « la culture n’est pas véritablement constituée en tant que telle comme une catégorie légitime d’intervention » mais émarge à différents fonds et programmes, basés sur une logique sociale, économique ou de requalification urbaine.
À travers ces quelques exemples, on aura compris que cet ouvrage, d’une lecture pas toujours facile, alimente la réflexion sur les politiques publiques aujourd’hui, leur élaboration, leur mise en œuvre. Il a le mérite, en mariant recours à l’histoire et à la sociologie de l’action publique, de souligner que les politiques publiques ne sont pas données mais construites : « La genèse des politiques publiques donne ainsi à voir les moments de transformation des représentations » (Pascale Laborier).
Une bibliographie abondante ouvre d’autres pistes de lecture.