La formation tout au long de la vie
faux consensus, vrais défis ?
Lyon : Centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Lyon, 2004. – 86 p. ; 23 cm. – (Cahiers d’Éducation et devenir ; hors série).
ISBN 2-86625-308-6 : 12,50 €
Dans le cadre de sa journée d’étude annuelle organisée au Sénat en 2004, l’association Éducation et devenir réunissait des universitaires, des représentants de l’Éducation nationale, des syndicalistes, des représentants du patronat, des élus et des responsables de fédérations d’éducation populaire pour évoquer l’avenir de la formation tout au long de la vie.
L’enjeu est important. L’Union européenne considère en effet l’éducation comme le socle fondamental du progrès économique et social ; l’économie de la connaissance doit devenir la plus compétitive et la plus dynamique du monde pour favoriser l’adaptation du plus grand nombre aux avancées scientifiques, techniques et sociales et répondre aux besoins des entreprises qui recherchent une amélioration de leur productivité par la flexibilité.
Dans ce contexte, la formation change de façon déterminante autour de lieux et de temps éclatés, sous la forme de diplômes fragmentés en unités capitalisables et pour valider les acquis professionnels.
Un faux consensus
Mais cette unanimité apparente autour du défi de la formation tout au long de la vie cache un faux consensus comme l’illustre son histoire récente. La finalité de la formation est en effet liée aux contextes sociopolitiques et économiques. De la Révolution à la Troisième République, les buts de l’instruction du peuple sont multiples et souvent contradictoires d’un promoteur à l’autre. Pour les élites, il s’agit de contrôler et de moraliser un peuple que l’ignorance rend turbulent ; pour les ouvriers, l’éducation permet d’accéder à la liberté intellectuelle ou d’affirmer l’identité de classe.
À partir de la Troisième République, l’offre d’éducation se diversifie et s’enrichit : les cours sont remplacés par des cercles d’étude, des conférences, des universités et des bibliothèques populaires, les musées du soir, etc. Mais éduquer le peuple peut s’entendre de deux façons : rendre le peuple cultivé ou développer la culture du peuple. De fait, dans les années 1930, la scission s’opère entre éducation ouvrière et éducation populaire avec le développement de formations de type syndical ou politique. De nouvelles formes d’éducation populaire (maisons de la culture, auberges de jeunesse, cinéma) apparaissent également avec le temps des loisirs sous le Front populaire.
Après 1945, l’éducation permanente est privilégiée pour répondre aux besoins de main-d’œuvre qualifiée et faire face aux avancées technologiques. La loi de 1971 impose le modèle de la formation professionnelle continue au détriment des projets portés par les mouvements d’éducation populaire.
Aujourd’hui, le nouveau défi à relever pour une redistribution des chances d’accès à la formation n’échappe pas aux débats qui ont jalonné l’histoire de l’éducation permanente. Ainsi, pour le patronat, la professionnalisation doit être privilégiée par rapport au diplôme et l’offre de formation doit s’adapter au marché.
À l’inverse, les représentants syndicaux réaffirment la nécessité de tenir compte de la valeur des diplômes qui ne cessent de se déprécier sur le marché du travail (60 % des jeunes diplômés de DUT ne sont pas embauchés au niveau de qualification auquel ils peuvent prétendre). Les partis politiques sont également divisés sur le niveau pertinent de gestion de la formation professionnelle : l’UMP défend l’échelon régional, tandis que le PS pense que l’État doit toujours être garant du droit à la formation.
Un accès inégalitaire à la formation
Mais au-delà de ces différences d’appréciation, un constat s’impose : alors que 50 % des cadres et techniciens ont accès à la formation, seuls 27 % des ouvriers qualifiés et 17 % des ouvriers non qualifiés en bénéficient. Cette inégalité d’accès à la formation est renforcée par une logique individualiste de la formation et par son recentrage sur la performance ; le paradigme de l’humanisme éclairé qui reliait fortement le savoir et le développement humain est supplanté par le paradigme de la rationalité économique et du capitalisme de projet qui pensent la formation comme un ajustement de compétences dans le cadre de réseaux d’échanges dans lesquels les individus peuvent entrer et sortir selon leurs intérêts immédiats.
La culture populaire en tant que pratique sociale n’a guère les moyens de se faire reconnaître et la formation n’a plus l’ambition de transmettre les savoirs. Néanmoins le volet VAE (validation des acquis par l’expérience) de la loi de modernisation sociale votée en 2002 ouvre de nouvelles perspectives : elle offre une voie d’accès à la certification à toute personne ayant trois ans d’expérience dans le domaine du titre ou du diplôme attendu. La VAE se trouve désormais au cœur de l’articulation des dispositifs de formation initiale et continue. À condition d’éviter de reproduire une forme d’enseignement classique pour les bas niveaux de qualification, elle constitue un moyen d’introduire une mixité dans l’encadrement des entreprises et un moyen de diversifier les élites de l’administration. La VAE, pour faire ses preuves, doit cependant trouver des formes innovantes d’évaluation des compétences acquises et ne pas occulter les responsabilités collectives et institutionnelles pour que le droit individuel à la formation puisse réellement s’exercer. Les accompagnements en formation prennent ici toute leur importance en pouvant restaurer la dignité des personnes les plus défavorisées.
Cette journée d’étude a eu le mérite de poser clairement les enjeux actuels de la formation grâce à des réflexions théoriques stimulantes et aux témoignages pertinents de divers praticiens. Il resterait à compléter cette réflexion par une étude plus approfondie sur la nature des savoirs mis en œuvre dans les programmes de formation, afin de contribuer au projet évoqué d’une nécessaire modification profonde des institutions, des dispositifs et de l’organisation pédagogiques.