Information et démocratie

Formons nos citoyens !

Claude Morizio

La Fadben (Fédération des enseignants documentalistes de l’Éducation nationale), avait choisi, pour son 7e congrès, qui s’est tenu à Nice les 8, 9 et 10 avril 2005 de « réfléchir aux enjeux éducatifs et sociétaux d’une formation à la maîtrise de l’information en mettant l’accent sur le développement de l’esprit critique, qui s’avère plus que jamais fondamental » à travers trois grandes questions. Peut-on affirmer aujourd’hui que chaque individu bénéficie d’un accès égal à l’information ? Au carrefour de l’information et de l’éducation, l’enseignant documentaliste peut-il participer à l’enjeu démocratique de l’enseignement ? Comment matérialiser cet enjeu dans l’exercice même de la profession d’enseignant documentaliste ?

Les conférences, tables rondes et débats se sont organisés autour de ces questionnements avec une large ouverture à d’autres pays, européens ou de culture francophone. Isabelle Fructus, présidente de la Fadben, dans son allocution d’ouverture, a mis l’accent sur l’importance de l’éducation aux médias, tout en s’interrogeant sur le rôle spécifique que peut jouer l’enseignant documentaliste en ce domaine.

Maîtrise de l’information et cyberculture

Abdelaziz Abid a lancé les débats avec la présentation du programme de l’Unesco pour la maîtrise de l’information et la formation tout au long de la vie. Il a rappelé la nécessité d’une alphabétisation fonctionnelle, qui permette à chaque individu de participer à la société à laquelle il appartient.

Par information, il entend l’éducation aux médias et à l’IST (information scientifique et technique), mais aussi la prise en compte de la culture artistique et de l’oralité. La notion d’Information Literacy, mise en avant aujourd’hui partout dans le monde, répond à une diversité de définitions, dont celle proposée par Abdelaziz Abid : « Savoir identifier des sources d’information et les utiliser de manière critique pour créer un nouveau savoir et résoudre des problèmes. » Selon lui, l’accent doit être davantage mis sur les concepts que sur les outils, et la technologie ne doit pas servir d’écran de fumée pour cacher des lacunes profondes.

Claude Baltz, professeur à Paris VIII, a abordé de façon polémique les notions d’information, de culture informationnelle et de cyberculture en posant la question : « Cyberculture : un “driver” obligé pour la société de l’information ? » Il propose le concept de « machine de vision », qui permet différents regards sur les objets d’information qui nous entourent, et rappelle que les sciences de l’information et de la communication sont essentiellement un regard sur le monde, plutôt qu’une discipline, avant de poser la question d’un enseignement dans le secondaire.

Éduquer aux médias

Jacques Piette, Thierry de Smedt et Bertrand Labasse ont expliqué les conceptions qu’ont respectivement le Québec, la Belgique et la France de l’éducation aux médias. Le développement d’Internet et son appropriation par les jeunes posent autrement la relation qu’ils entretiennent avec les médias. Dans la majorité des pays développés, si l’éducation aux médias est considérée comme une nécessité par l’institution, elle fait l’objet de diverses déclinaisons dans des activités pédagogiques laissées à l’initiative des enseignants. Or, des études menées par des équipes de recherche en communication ont montré que les effets produits sont étroitement liés aux options pédagogiques choisies. À partir d’un certain nombre d’hypothèses formulées au départ sur l’impact de l’éducation aux médias sur le développement de compétences et la modification de comportements chez les élèves, on peut dégager plusieurs constats. Oui, les élèves peuvent acquérir des compétences d’expertise des médias, mais plus facilement de la presse papier. On observe chez eux une amélioration très nette de la participation à la vie collective, et une remotivation scolaire.

Il est par contre plus difficile d’évaluer en quoi elle aide au développement de l’autonomie cognitive, qui se construit à très long terme.

Des ateliers ont exploré les différentes facettes de cette éducation aux médias, avec des intervenants du monde de l’éducation, de la culture, et aussi du secteur marchand.

Former à l’information : des référentiels au curriculum

Quelles que soient les situations particulières rencontrées dans les différents pays représentés, s’est posée, lors des tables rondes, la question de fond des liens entre enseignement disciplinaire et compétences informationnelles. Actuellement, les élèves sont placés dans une situation d’inégalité en matière de formation à la recherche d’information, et la revendication citoyenne passe par une nécessaire prise en compte de l’institution et par son engagement à impulser des actions. Nous disposons actuellement d’un certain nombre de référentiels de compétences informationnelles, dont celui de la Fadben, mais on ne peut plus se reposer sur la bonne volonté des individus pour les mettre en œuvre. Plusieurs intervenants ont évoqué l’urgence de réunir les partenaires concernés pour élaborer un curriculum pour l’enseignement de l’information-documentation, conçu comme un parcours éducatif global, avec des contenus, des finalités, une description des activités, des modalités d’évaluation et une progression des apprentissages.

Il reste à définir les concepts-clés à « enseigner », et c’est une question d’ordre politique, d’abord. Pour le moment, la formation, ou l’éducation à l’information, n’est pas une priorité de l’école, comme si elle se faisait par imprégnation, au contact des documents et des médias. Tous les intervenants, en France et à l’étranger, en appellent aux pouvoirs publics pour sortir de l’invocation et installer des cadres qui permettent la mise en œuvre d’actions organisées et efficaces.

En conclusion, il est dégagé l’importance de définir au niveau des établissements scolaires un projet documentaire global qui prenne en compte les actions de formation à l’information, qui permettent le développement de compétences, mais intègrent aussi des connaissances à acquérir. Les contenus et les modalités restent en débat, le chantier est ouvert…