Le développement face aux biens communs de l'information et à la propriété intellectuelle
Michèle Battisti
Réflexion et action, tels sont les objectifs que s’est assignés l’association Vecam qui a pris l’initiative de rencontres sur le thème du « développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle », organisées à l’École nationale supérieure des télécommunications, à Paris, le 1er avril 2005.
Quatre ateliers furent proposés : santé et propriété intellectuelle ; agriculture, savoir traditionnels et biopiraterie ; recherche, industrie et brevets ; connaissance et création. C’est ce dernier thème qui fait l’objet de cette courte synthèse.
Le libre accès au savoir, un droit de l’homme
Hervé Le Crosnier (maître de conférences à l’Université de Caen) s’appuya sur une citation de Victor Hugo, qui affirmait que la pensée appartient au genre humain, pour souligner que l’intérêt du public, dans l’équilibre aujourd’hui rompu du droit d’auteur, doit peser davantage.
Si la technologie donne de formidables opportunités, les dérives qui en découlent doivent pouvoir être contestées. L’accès à l’information doit, en effet, représenter un accès à un espace de connaissance et de débat et la création de biens communs au niveau mondial doit se traduire par la multiplication des échanges et non devenir un instrument de domination. À cet effet, c’est un appel pour une « révolution copernicienne » qui est lancé, qui consiste à faire du libre accès l’objet de toutes les attentions, à réfléchir ensuite à des modèles de propriété intellectuelle et économique. Comment ne pas évoquer la Déclaration des droits de l’homme et les objectifs des Nations unies qui font également du libre accès au savoir un droit de l’homme et le cadre pour une réflexion à la propriété intellectuelle ?
Pascal Renaud (chercheur à l’Institut de recherche pour le développement) souligna que la formation faisait partie du dispositif de lutte contre la pauvreté des Nations unies. Avec le développement des techniques, beaucoup de moyens ont été déployés, dès les années 1970, pour former les cadres à la maîtrise de l’informatique. Mais les résultats sont peu probants puisque les programmes, qui préconisent désormais toujours un partenariat privé/public, sont mis en œuvre – y compris dans les pays développés – pour ouvrir des marchés et sont dénués de toute vision éducative. Les entreprises privées s’immiscent même dans des programmes éducatifs.
Étonnamment aussi, lors du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), l’accent n’a pas été mis sur les aspects pédagogiques ni sur le rôle des logiciels libres dans la lutte contre la fracture numérique. Par ailleurs, les programmes d’enseignement à distance permettent d’obtenir des diplômes étrangers sans lien avec la réalité locale et favorisent la fuite des cerveaux.
Le rôle des bibliothèques
Claudine Belayche (Bibliothèque municipale d’Angers) a rappelé que la démocratisation de la culture était une notion récente et que l’illettrisme existait toujours en France.
Si aujourd’hui le développement de l’accès à l’information est conditionné par la technique, les institutions collectives, qui jouent toujours un rôle majeur pour la lecture et l’accès à l’information, doivent être soutenues par des programmes de développement spécifiques. Or, si les traités et les conventions internationales militent effectivement en faveur de l’accès à la culture dans les pays moins avancés, si les organisations internationales soutiennent des programmes éducatifs et si, par ailleurs, l’accès à l’information doit être facilité par la numérisation et les transmissions satellitaires, se présentent des obstacles liés à la propriété intellectuelle et à l’insuffisance de moyens techniques. Les textes juridiques ne font, en effet, aucune différence entre l’exploitation commerciale des informations et la diffusion à des fins non lucratives.
Or les droits exigés par les sociétés multinationales sont supérieurs aux capacités financières de la France et a fortiori des pays en développement. Pour concilier l’aide au développement et les limites juridiques et financières, il faut imaginer des dérogations. Si un tel souci transparaît dans la déclaration du SMSI et dans les traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), ces dérogations doivent être soutenues avec plus de force, à l’image des principes revendiqués par l’American Library Association et d’autres associations de bibliothèques dans le monde.
Pour un système scientifique plus équitable
Jean-Claude Guédon (professeur à l’Université de Montréal et membre du conseil d’administration d’un programme de la fondation Soros) soutient que la problématique du droit d’auteur est indépendante de celle du libre accès et remet l’auteur au centre du dispositif.
Si celui-ci peut transférer ses droits à un tiers, cette cession n’est pas forcément exclusive. En outre, des licences, comme les licences Creative Commons, lui permettent de « manipuler » le droit d’auteur à son avantage. Ces accords, qui permettent la diffusion sans mettre en péril le secteur de l’édition, se font désormais avec l’assentiment des éditeurs. L’accès peut être offert à tous. C’est bien le même objectif qui est poursuivi par les bibliothèques depuis un siècle.
Or aujourd’hui, un pourcentage important de l’humanité est exclu de l’accès à la connaissance par le système économique traditionnel qui est aussi un système de pouvoir, comme le prouve le processus de création d’une revue, qui répond d’abord à un souci de rentabilité économique et non à une problématique intellectuelle. Le libre accès permet de corriger ces dérives. Si l’évaluation se fait toujours par les pairs, le chercheur n’est plus « prisonnier » d’un système qui présente d’ailleurs des failles, le facteur d’impact n’évaluant pas un chercheur mais la revue qui l’a publié. L’accès libre, mais aussi le stockage ouvert et la circulation des connaissances, permettent d’envisager un système scientifique plus équitable car ouvert au monde entier.