La notion de ressources à l'heure du numérique

par Ghislaine Chartron
coordonné par Christine Develotte et Maguy Pothier.
Lyon : ENS Éditions, 2004. – 152 p. ; 21 cm. – (Notions en questions ; 8).
ISBN 2-84788-049-6 : 15 €

Cet ouvrage de la collection « Notions en questions » des éditions de l’École normale supérieure de lettres et sciences humaines de Lyon rend compte d’une journée organisée le 19 juin 2003 à l’ENS, par l’équipe Plurilinguisme et multimédias (ICAR UMR 5191) en partenariat avec l’Université de Clermont-Ferrand. L’inscription de ce débat dans le cadre de l’apprentissage des langues est significative de l’importance que revêt la notion de ressources dans ce domaine.

L’ouvrage développe une dimension réflexive sur l’étymologie de la notion, sur les transformations de la médiation pédagogique et sur les usages réels des apprenants. Il s’intéresse donc majoritairement aux dimensions sociales associées à l’introduction de ces ressources numériques dans l’apprentissage.

Étymologie

La notion de « ressources », d’un emploi inflationniste, est empreinte d’un certain flou conceptuel que Maguy Pothier tente tout d’abord d’élucider. L’investigation conclut sur le caractère très contemporain de la notion, fortement inscrite dans des discours institutionnels et associée à une approche communicative de l’enseignement, dirigée vers l’autonomie et la centration sur l’apprenant. Sa typologie différencie les ressources entendues comme des données de toutes formes (textuelles, sonores, visuelles), de tout support, des personnes-ressources qui tentent d’articuler autonomisation de l’apprenant et guidage, des ressources informatiques à la disposition des pédagogues pour concevoir leurs apprentissages.

La notion s’est particulièrement imposée en France, dans le contexte institutionnel des différentes circulaires depuis 1998. L’ouvrage ne retrace pas précisément une chronologie mais relève, à plusieurs reprises, l’influence majeure de ces textes officiels sur l’usage de la notion. Il manque certainement, dans cette investigation étymologique, l’analyse du lien qu’entretient cette notion avec la terminologie informatique ; l’utilisation du terme « objet pédagogique » aurait été également intéressante à discuter.

La médiation dans les dispositifs d’apprentissage : la vraie question ?

En revisitant plusieurs modèles de dispositifs didactiques (modèles d’Alava, de Legendre, de Rabardel, d’Engeström), Évelyne Brodin s’attache à montrer que cette notion de « ressources » est déjà présente, la rapprochant alors de la notion d’instrument. C’est, selon cet auteur, l’évolution des médiations qui interroge dans le contexte de mise à disposition de ces ressources en situation d’enseignement-apprentissage. Les modèles renvoient à des registres différents : médiations épistémiques, pragmatiques, collaboratives, sémiotiques, stratégiques…

Des tensions sous-jacentes restent au cœur du débat : médiations humaines/médiations techniques ; autodirection de l’apprenant/contrôle du processus de formation ; autostructuration/hétérostructuration ; instrumentation/autonomie des apprenants.

Ressources et guidage

En étroite liaison avec ces ressources numériques se pose le problème du guidage de l’apprenant et de son degré d’autodirection. Guidage est à comprendre ici comme « intervention pédagogique facilitatrice ». Françoise Demaizières, dans un texte riche et d’une très grande clarté, approfondit les relations ressources/guidages en distinguant plusieurs situations d’apprentissage intégrant des ressources numériques : consultation de sites web ; autoformation guidée en centre de ressources ; individualisation, diversification ponctuelle avec les TIC (technologies de l’information et de la communication) ; e-learning. Les distinctions suivantes sont également soulignées : guidage des contenus (apprentissage)/guidage méthodologique (recherche d’information) ; intervention active/proactive, auto-hétéro-éco formation ; ressources pédagogiques, pédagogisées, brutes ; relations maîtres-élèves et dimension collaborative.

L’enseignant confronté à la pratique appréciera tout particulièrement les éléments du précis « Du bon usage du guidage ».

Ressources et usages par les apprenants

Comment les usagers utilisent-ils ces ressources numériques ? Quelle représentation, quelle appropriation réelle ? Quelles stratégies de « libération » par rapport à ces dispositifs ?

Anne-Laure Foucher nous propose un cadre conceptuel d’analyse impliquant trois composantes (usager, ressources, modèle d’usage) et cinq relations (usagers-ressources : perception, compréhension, accès, exploitation ; ressources-modèles d’usage : mise en œuvre du modèle dans les ressources). De son côté, à l’appui de son expérience, Marie-José Gremmo nous dit que « l’usage des ressources est la résultante d’un ensemble de logiques de pensée ou d’actions à travers lesquelles l’apprenant construit ses choix » : logique de liberté sans contrainte, de recherche d’une bonne ressource, du temps réservé à l’apprentissage, de la rentabilité de l’investissement, de la motivation. Elle souligne, par ailleurs, de façon très pertinente, que l’observation de ces usages doit nécessairement prendre en compte l’évolution du contexte socio-économique dans lequel évoluent aujourd’hui les apprenants, à savoir le développement d’usages plus libres « hors dispositifs institutionnels ».

La conception de ressources, un sujet peu développé

L’ouvrage aborde très peu le problème de la conception des ressources numériques et la dimension organisationnelle. La contribution d’Arnaud Pelfrêne rend compte des choix effectués dans le cadre du poste de lecture assisté par ordinateur de l’ENS, dans le sillon des réflexions menées par la BnF au début des années 1990. La désignation PLAO est certainement un peu abusive dans la mesure où l’assistance de la lecture se limite ici de façon très pragmatique (et peut-être réaliste) à la mise à disposition de logiciels divers.

Les propos de Chantal d’Halluin nous donnent par ailleurs un bref aperçu des changements organisationnels induits dans le développement des dispositifs de formation ouverte à distance (FOAD) dans l’enseignement supérieur : d’une responsabilité individuelle de l’enseignant en présentiel, on passe à un schéma de travail en équipe dans la FOAD où rigueur et rationalisation s’imposent entre les acteurs.

Ce livre dira peu de choses au lecteur sur la conception des ressources, il ne donnera pas de repères sur l’état des développements, sur l’économie de ces ressources numériques pour l’enseignement, ni sur un éventuel bilan des effets concernant l’acquisition de savoirs. Il contribuera fortement, par contre, à prendre le recul nécessaire pour appréhender cette notion de « ressources numériques » au-delà du discours institutionnel. Il donnera des repères méthodologiques pour comprendre et évaluer les transformations dans les processus d’apprentissage.

Les personnels des bibliothèques y trouveront des éléments de réflexion de nature pédagogique très complémentaires à la mise à disposition de ces ressources dans nos institutions éducatives.