L'évaluation des politiques publiques locales

par Thierry Giappiconi

Danièle Lamarque

Paris : Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2004. – 215 p. ; 21 cm. – (Systèmes. Collectivités locales).
ISBN 2-275-02219-8 : 18,50 €

Danièle Lamarque, conseiller maître à la Cour des comptes, spécialiste éminente du management et des politiques publiques, publie un livre solide, clair et d’autant plus bienvenu pour la bibliothèque des bibliothécaires que les sciences politiques et l’administration publique font encore trop peu partie de leur culture professionnelle.

Une réflexion globale

Parents pauvres des formations initiales et continues, les politiques publiques ne sont encore trop souvent abordées que sous l’angle des « politiques éducatives » (pour les personnels des universités) et des « politiques culturelles » (pour les personnels des collectivités territoriales). Cette approche est non seulement restrictive, mais elle conduit encore à un contresens : l’idée que des politiques s’appréhendent en vase clos – la problématique des politiques publiques se limiterait à la recherche d’une conformité avec des orientations, des programmes, voire des campagnes, d’organismes ministériels.

Le cadre territorial, choisi par l’auteur, montre au contraire comment les politiques publiques, et a fortiori les politiques publiques locales, ne peuvent être appréhendées que dans l’imbrication de leurs objets et de leurs effets. Les cadres dirigeants des bibliothèques territoriales savent que leur environnement et leur action ne se limitent pas au domaine de la « culture », c’est-à-dire ce qui relève peu ou prou du ministère éponyme, mais à des domaines infiniment plus vastes. Ils constatent que leurs missions documentaires et leur offre de service dans les domaines de la formation, l’information et la culture (pour reprendre les catégories énoncées par le manifeste de l’Unesco) touchent directement et indirectement à des politiques de développement économique, d’emploi, d’insertion sociale, etc., toutes choses elles-mêmes indissolublement imbriquées.

En posant la question des résultats, des impacts et des effets, l’évaluation présente, à cet égard, le mérite de poser la question des buts de toute action et de la hiérarchisation des objectifs : efficacité sociale (quel bénéfice social la bibliothèque apporte-t-elle à la société et aux différentes catégories de population qu’elle a pour mission de desservir ?) et efficacité interne (quelle est la pertinence des options et les procédures techniques et d’organisation au regard de l’efficacité externe et de l’efficience interne ?). À une réflexion indispensable à tout cadre du service public (ce que sont aussi, faut-il le rappeler, les cadres des bibliothèques), le livre de Danièle Lamarque apporte tout à la fois une méthode de questionnement, des définitions, des références et des exemples.

Une excellente synthèse

La première partie définit dans son premier chapitre ce qu’est l’évaluation par un rappel historique avant de décomposer « le triptyque objectifs-moyens-résultats et ses interactions », pour s’interroger ensuite sur ce qu’est une politique publique locale. Cette première partie expose clairement les concepts de base utiles à une approche d’évaluation et à leur problématique ; elle définit et distingue les différents types d’analyse de la gestion publique dont elle dresse d’ailleurs un excellent tableau comparatif (p. 45).

Après cet abord théorique, le livre s’attache au « vécu » de l’évaluation : la deuxième partie est consacrée à l’exposé et à l’analyse de « l’évaluation des politiques partenariales » (programmes communautaires et procédures contractuelles), suivi de trois études de cas. La troisième partie décrit les progrès et les écueils de l’évaluation dans les collectivités. Enfin la quatrième partie traite de l’évaluation externe, principalement par la Cour et les chambres régionales des comptes, mais aussi par d’autres approches externes : inspections générales et évaluations interministérielles. Il est à cet égard particulièrement intéressant de voir comment ces institutions s’efforcent parfois de passer du « contrôle » stricto sensu à l’évaluation, c’est-à-dire à une approche plus large, celle, du moins en partie, de l’efficacité et donc inévitablement de la pertinence des actions publiques. Un index et une bibliographie achèvent de faire de ce petit livre un document indispensable à tout rayon d’administration publique et donc, à ce titre, de bibliothéconomie.

Une problématique au cœur de l’action des bibliothécaires

En effet, aux bibliothécaires qui pourraient encore se demander en quoi un livre qui parle de « politiques publiques locales » peut les concerner, la lecture de l’excellente synthèse de Danièle Lamarque montre que le sujet traite du fondement même de leur action. Comment les personnels qui, à des titres divers, sont responsables de la gestion des bibliothèques pourraient-ils ne pas s’interroger sur la problématique de l’évaluation : quels sont explicitement les objectifs d’intérêt général auxquels visent à répondre les établissements dont ils ont la charge (la problématique des politiques publiques), quels sont les effets et les impacts de leurs politiques documentaires et de services sur la société, et quelle est l’efficacité interne (bon usage des moyens) et externe (pertinence au regard des objectifs) de leurs options et de leurs procédures ?

L’enjeu de ce questionnement est, comme le rappelle l’auteur, loin d’être secondaire : « La question n’est plus de savoir si l’évaluation doit s’appliquer aux politiques publiques locales, mais comment inscrire enfin dans la culture et les pratiques quotidiennes des élus, des gestionnaires et des citoyens le réflexe de la transparence et de la responsabilité. »

C’est pourquoi le livre de Danièle Lamarque concerne, bien entendu, les responsables des bibliothèques des collectivités territoriales, mais encore ceux des universités, d’une part parce que les relations des services communs de la documentation avec les conseils d’université présentent des similitudes avec les relations avec des exécutifs communaux ou départementaux, d’autre part parce que les collectivités territoriales (notamment les régions) jouent, et joueront à l’avenir, selon un scénario annoncé, de plus en plus un rôle majeur dans la destinée des bibliothèques. Faut-il encore ajouter que cette synthèse a sa place dans tout rayon de base d’administration publique ?