Critique de la raison numérique
Paris : CNRS éd., 2004. – 272 p. ; 22 cm. – (Hermès : cognition, communication, politique ; 39).
ISBN 2-271-06245-4 : 25 €
N’y aurait-il plus d’après Internet ? Quels sont les effets de la numérisation sur les pratiques intellectuelles ? Ces questions sous-tendent toute la réflexion de ce numéro conséquent de la revue Hermès qui comprend les contributions de plus d’une trentaine de chercheurs français, britanniques, suédois et suisses. On reconnaîtra au passage des auteurs qui publient régulièrement sur ce sujet tels Jacques Perriault, Brigitte Juanals ou Majid Ihadjadene, ainsi qu’Alex Mucchielli.
Vers une nouvelle conception du travail
La numérisation de l’information sous toutes ses formes est le défi majeur que nous connaissons actuellement. Des initiatives internationales (gouvernementales ou privées) voient le jour et le concept de bibliothèque universelle prend quotidiennement plus de réalité. Mais ce qui intéresse les auteurs de ce numéro relève du domaine de la sphère professionnelle lié au travail de chaque individu : il va de soi que les technologies de l’information bouleversent la conception même du travail, de son organisation et de son accomplissement. Quels sont ces bouleversements ? Pour répondre à cette question, plusieurs recherches ont été effectuées dans des domaines très divers et nous avons là quelques résultats.
Le travail est considéré sous différents angles. Il est vu à travers le prisme offert par les outils technologiques : ainsi, le partage des informations à distance (avec l’exemple des centres de recherche de la Silicon Valley), la recherche d’une information sur Internet (expertise et auto-efficacité allant de pair), le développement de pratiques collectives (facilitant les associations ou les communautés) ou l’enseignement à distance (à l’université notamment). Cela ne va pas sans difficultés : la consultation d’archives audiovisuelles montre que la manipulation et l’appropriation des outils et des logiciels ne sont pas toujours aisées ; dans le cas des revues en ligne, la lecture de documents hypermédias désoriente de nombreux lecteurs ; pour les étudiants, la question se pose parfois de savoir si l’enseignement classique n’est pas préférable à la formation en ligne.
Pratiques intellectuelles et technologie
Par rapport à l’écriture, les auteurs constatent que l’héritage du mode d’écriture traditionnel reste bien présent alors que l’écriture en mode numérique suppose un apprentissage différent, et notamment l’utilisation des produits multimédias. Au niveau de la lecture sur écran, plusieurs auteurs abordent les points suivants : comment se consulte une encyclopédie en ligne (avec l’exemple de l’Encyclopædia Universalis) ; comment la disposition graphique d’un texte intervient sur l’acte de lecture ; quelles informations sont dégagées par des collégiens à la lecture d’un cédérom ou d’une brochure.
La recherche d’information constitue également un champ d’étude par rapport aux activités cognitives qu’elle implique : l’étude de jeunes élèves montre les difficultés qu’ils éprouvent quand ils sont placés en situation de recherche ; un public plus spécialisé aura tendance, quant à lui, à formuler et reformuler les termes de sa recherche jusqu’à aboutir à des résultats satisfaisants, sans prendre en compte les catégories proposées qui auraient un effet inverse.
Le monde de l’édition – plus particulièrement l’édition en sciences humaines et sociales – est également touché par la numérisation et de nouvelles pratiques éditoriales sont à envisager : les technologies actuelles le permettent avec, par exemple, l’utilisation du format SCD (Scientific Construct and Data).
De manière générale, les réflexions des différents auteurs portent sur les pratiques d’information et de communication, soit en étudiant le comportement d’élèves, d’étudiants ou d’experts, soit en se référant à l’apport de diverses théories de la communication ou d’auteurs tel Abraham Moles. Pur produit de recherches sur le terrain, ce numéro de la revue Hermès apparaît très complet et très fouillé et aborde les différentes dimensions de la numérisation : la lecture, l’écriture, l’édition, la recherche d’information, autant de pratiques intellectuelles influencées par les évolutions de la technologie.