D'une bibliothèque à l'autre
Quel avenir pour les bibliothèques dans une université en mutation ?
Marie-Annick Bernard
Le 4 février dernier, le SICD2 (Service interétablissements de coopération documentaire) des universités de Grenoble II et III accueillait dans ses locaux, magnifiquement mis en valeur par une rénovation signée de l’architecte Pierre Du Besset, une journée d’étude organisée par Médiat et consacrée aux bibliothèques universitaires. Le thème, « D’une bibliothèque à l’autre : quel avenir pour les bibliothèques dans une université en mutation ? », était en parfaite adéquation avec l’environnement et s’appuyait sur les réflexions et projets de ces deux universités grenobloises.
Des bibliothèques en mutation
La matinée fut d’abord consacrée aux bibliothèques et à leurs récentes mutations et c’est à Michel Melot que revint de pointer les éléments clés de cette évolution, en soulignant leurs contradictions : les collections, « objets lents », qui se construisent sur le long terme, ont-elles encore un sens quand les technologies de l’information ne cessent d’évoluer ? Quel devenir pour ces nouveaux équipements quand l’information peut être accessible par tous et de partout ? Quelle place pour l’écrit alors que les technologies les plus utilisées (téléphone portable, ordinateur…) favorisent un mode de communication orale ou se rattachant à l’oral (chat, SMS…) ? Et de citer, face à ces contradictions, les atouts des bibliothécaires : une longue familiarité avec les différents supports de l’information, la possibilité de développer une vraie animation culturelle, de créer des lieux de rencontre. Les bibliothèques ont aussi un rôle à jouer dans la valorisation et la sauvegarde de l’information, dans la diffusion des « documents orphelins » (documents peu demandés mais essentiels). Alors que les médias et l’édition subissent concentration et lois du marché, et que les contraintes juridiques restent pesantes, les bibliothécaires doivent se mobiliser pour jouer un rôle citoyen et assurer la démocratisation de l’accès à l’information. Ils doivent veiller « à travailler dans le long terme, en privilégiant la transmission sur la communication », en réaffirmant leur compétence sur la gestion du papier – dont la progression reste constante –, du livre et des contenants d’information en général.
C’est à un questionnement plus large et fort séduisant que nous invita ensuite l’architecte italien Aldo De Poli, avec un tour du monde des bibliothèques *. En mettant en perspective l’évolution historique de la bibliothèque, son organisation spatiale et institutionnelle et son image contemporaine, sa place dans la ville, il essaya d’appréhender sa valeur dans notre société et les évolutions qui se dessinent.
Le SICD2 Grenoble : une restructuration globale
Frédéric Saby nous ramena ensuite à une situation plus concrète en rappelant les objectifs qui ont présidé à la rénovation du SICD qu’il dirige, et comment on est passé d’une obligation de mise en sécurité d’un bâtiment des années 1960 à un projet global de restructuration. Le souci de mise en valeur de la documentation et d’offre de nouveaux services a déterminé une refonte de l’organigramme, dorénavant fondé sur la transversalité des responsabilités, et un réaménagement complet des espaces et de la présentation des collections. Bien que l’on parle de plus en plus de dématérialisation de l’information, les universités grenobloises ont choisi de mettre l’accent sur le bâtiment et d’affirmer sa place fondamentale dans l’université en tant que lieu d’étude, d’apprentissage, de rencontre et de vie. L’usage de la documentation doit évoluer, passer d’un rôle second d’accompagnement à un rôle primordial dans l’enseignement. Cela implique une attention particulière portée aux besoins des publics, l’instauration de relations différentes avec les enseignants et chercheurs, la mise en œuvre de formations documentaires pour tous les étudiants. Cela concerne également les collections, dont le développement devra être étudié avec les enseignants en s’appuyant sur des évaluations précises. Si l’intégration des enseignants dans la réorganisation de la bibliothèque s’est faite en amont de la construction, avec la création d’un comité des usagers, elle reste à développer en ce qui concerne la participation à la vie de la bibliothèque et aux acquisitions.
Le SCD dans l’université
L’après-midi, consacrée à l’avenir des SCD dans une université en mutation, fut introduite par François Petit, professeur à l’Université Pierre Mendès France, qui releva les évolutions en cours dans l’université, ses points forts et ses fragilités. La mise en place du LMD (Licence Master Doctorat) est l’une des mutations les plus importantes, qui a permis de recomposer l’offre pédagogique et de s’affirmer dans le contexte européen. Pour assurer sa réussite, il faut s’interroger sur ce que l’on attend d’un étudiant : étudiant consommateur de l’offre ou étudiant acteur, engagé dans une appropriation dynamique du savoir ?
La table ronde qui suivit réunissait différents acteurs pour un échange de point de vue. Odile Lagacherie, vice-présidente de l’Université Stendhal, posa d’abord la question essentielle : quelles sont les attentes mutuelles de l’université et du SCD aujourd’hui ? Le décloisonnement est une priorité : il faut mettre du lien, du liant. Le SCD peut apporter un « certain nombre de compétences : sa pratique de mise en réseau, sa professionnalité, une expertise qui peut accompagner les formations ». Les enseignants doivent apprendre à travailler en équipe, dans les disciplines et transdisciplinairement. Le prochain contrat prévoit d’intégrer la fonction documentaire à l’intérieur des parcours disciplinaires : bibliothécaires et enseignants vont devoir travailler ensemble. Par ailleurs, les exigences de l’évaluation à l’université vont poser la question de la qualité et « cela créera un choc bien plus important que la mise en place du LMD ».
Philippe Saltel, enseignant de philosophie à Grenoble II, passa au crible de l’éthique les relations entre SCD et université pour finalement mettre en évidence l’obligation d’un rapprochement qui seul permettra la construction d’un savoir, d’une culture. Il pointa aussi l’importance des collections et la nécessaire participation des enseignants aux commissions d’acquisitions avec, en contrepartie, un suivi par les bibliothécaires du travail des groupes de recherche.
Marie-Dominique Heusse, directrice du SCD de Toulouse I, releva une double évolution en œuvre, structurelle – dans l’environnement institutionnel – et fonctionnelle – face à l’accumulation des supports. Cela se traduit par l’émergence de nouveaux métiers (documentation électronique et système d’information documentaire, formation documentaire, suivi de construction…) et l’élargissement des compétences des BU, mieux intégrées qu’il y a dix ans dans la vie universitaire. Mais comment gérer ce changement ? Concernant les personnels, la réforme de l’évaluation et la mise en œuvre des fiches
de poste sont en cours, il y a aussi la gestion prévisionnelle des emplois, les référentiels des métiers, l’évolution de la formation… Il faut également mener une réflexion sur l’émergence de nouvelles fonctions transversales ou sur l’organisation : trouver des ressources pour des tâches nouvelles, tirer les conséquences des évolutions techniques…
Une journée foisonnante pour une assistance nombreuse et attentive, qui confirme le rôle croissant des bibliothèques dans l’université, avec un impératif : opérer un rapprochement entre enseignants et bibliothécaires, et tisser les liens d’un vrai partenariat.