Les entretiens de la BnF

Anne-Marie Bertrand

La troisième édition des Entretiens de la BnF s’est déroulée les 2 et 3 décembre 2004, sur le thème « Valorisation et action culturelle en bibliothèque ». Comme s’il en était encore besoin, Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France, en ouverture, et Agnès Saal, directrice générale, en clôture des Entretiens, ont tous deux insisté sur la légitimité de l’action culturelle : « L’offre culturelle en bibliothèque fait désormais partie intégrante de nos missions, elle n’est pas un ornement un peu anecdotique » (Jean-Noël Jeanneney), « L’offre culturelle fait partie intégrante de la vie de la bibliothèque, ce n’est ni un supplément d’âme, ni une danseuse » (Agnès Saal).

Cette insistance signifie-t-elle, à rebours, que cette légitimité n’est pas si assurée et cette reconnaissance si partagée ? Laissant en suspens cette question préalable, ce compte rendu s’attachera à deux thèmes traités par ces Entretiens : la spécificité de l’action culturelle en bibliothèque, et ses difficultés.

Une action spécifique

« Y a-t-il une spécificité de l’exposition en bibliothèque ? », fut une des questions posées par Viviane Cabannes (BnF) pour lancer le débat. À entendre Hélène Richard (BnF, commissaire de la très belle exposition « La mer »), on pourrait définir cette spécificité de l’exposition comme étant une activité seconde par rapport aux missions de la bibliothèque. Les fonds s’accumulent soit sans sélection (c’est le cas du dépôt légal ou des fonds régionaux où on vise l’exhaustivité), soit selon des critères documentaires de sélection. Mais pas en fonction du caractère spectaculaire des pièces. On n’acquiert pas pour exposer : on expose ce qu’on a acquis. D’où cette réflexion de Valérie Tesnière (BnF) sur le fait que les bibliothèques exposent volontiers des « objets à la marge », des estampes, des photographies, des médailles, car le livre n’est pas « adapté à l’exercice ».

Cependant, il y a un rapport intrinsèque entre la collection et l’exposition : l’exposition, dit Hélène Richard, est « complémentaire du travail d’acquisition et d’inventaire », elle est « l’aboutissement de ce travail ». Elle rend apparents la collection, « sa richesse, son contour, son origine » et doit donc s’appuyer sur une très bonne « connaissance du terreau », ce terreau qu’est la collection. Certaines pièces sont ainsi « spectacularisées », extraites de la collection, exposées – on passe ainsi, selon la formule de Viviane Cabannes « de l’innombrable de la collection à un petit nombre d’objets ». Avec le problème que, ainsi identifiées, ces pièces sont connues et demandées et redemandées pour des expositions, si bien que des restrictions doivent être opposées aux demandes (la règle des 3 : la BnF ne prête pas plus de 3 mois, et le même document seulement tous les 3 ans).

Plusieurs autres spécificités ont été évoquées. L’une (par Valérie Tesnière), qu’une exposition, une conférence, une lecture, sont dans l’événementiel alors que la bibliothèque vit dans la longue durée (mais n’est-ce pas la même chose pour les expositions temporaires dans les musées ?). L’autre (par Patrick Bazin, BM Lyon), que, dans ses collections, la bibliothèque fournit les armes de la critique, d’un regard distancié, mais ne s’engage pas ; alors que dans une exposition, la bibliothèque s’engage, « montre qu’elle a un point de vue sur le monde ». Le même Patrick Bazin soulignant aussi que, dans l’action culturelle, la bibliothèque répond à « l’attente du public pour des émotions fortes, des expériences émotionnelles ». Enfin, Florence Delaporte (BM Limoges) a souligné la « dichotomie » entre la volonté de montrer à tous (dans l’exposition) et la volonté d’encourager le rapport intime au texte.

Peut-être que la spécificité de l’action culturelle, alors, ce serait de se démarquer du mode de fonctionnement habituel de la bibliothèque et de ses valeurs implicites (le temps long, la collection innombrable, la raison critique, le savoir) au profit d’autres modes de fonctionnement et d’autres valeurs (l’événementiel, des objets singuliers, l’émotion, le voir).

Les difficultés de l’action

Cet effort dialectique n’est pas, loin de là, la seule difficulté rencontrée dans la mise en place d’actions culturelles. Plusieurs intervenants ont développé la question des moyens (notamment en matière de communication : Patrick Bazin : « Nous ne jouons pas dans la cour des grands ») et surtout des coûts, mais aussi la question des compétences (Benoît Lecoq, FFCB, à propos des produits éditoriaux des bibliothèques, ou Yves Alix, Ville de Paris, à propos des animations destinées aux handicapés).

Une des difficultés majeures, bien sûr, est celle des publics. Comme l’ont reconnu plusieurs intervenants, le succès des animations n’est pas toujours à la hauteur des espérances – ou, plus exactement, c’est un public très restreint qui est fidélisé. Pourtant, par exemple, l’exposition Willy Ronis de la BM de Lyon a accueilli 25 000 visiteurs. Pourtant, 70 000 personnes assistent aux conférences de l’auditorium du Louvre. Pourtant, à Troyes, dit Thierry Delcourt, l’exposition « Bestiaire du Moyen Âge » a recueilli un vrai succès : mais c’est peut-être qu’elle était accompagnée d’un parcours multimédia, de conférences et d’ateliers de création (broderies, enluminures, multimédia).

Des solutions ? Il faut « désacraliser le rapport à la culture patrimoniale » (Jean-Marc Terrasse, BnF), tenir un « propos non élitiste, lisible à plusieurs niveaux » (Thierry Delcourt), répondre au besoin de dialogue, à « la soif de lectures, d’entendre des textes », faire découvrir les collections, travailler en partenariat. Bref, rien d’inouï.

Cette question du partenariat peut servir à illustrer la difficulté principale de ces deux jours : sur un sujet aussi singulier, comment mettre en parallèle ou en miroir ou en écho ou en dialogue, ce que fait la BnF et ce que font les autres bibliothèques – ce que peuvent faire les autres bibliothèques. Si l’on excepte quelques cas particuliers (la BM de Lyon, la BDIC, la BPI – étrangement absente des débats), la BnF est forcément en partenariat avec beaucoup plus petit qu’elle. N’est-ce pas une difficulté spécifique ?