Éditorial

Anne-Marie Bertrand

La bibliothèque comme objet de recherche. Sujet rarement traité : on parle plus volontiers de la bibliothèque comme outil de recherche, de par ses ressources documentaires, les corpus qu’elle détient ou auxquels elle donne accès, les matériaux que constituent ses collections. On évoque aussi, parallèlement, le bibliothécaire comme chercheur, sujet d’interrogation récurrent qui participe de l’interrogation sur l’identité des conservateurs de bibliothèque *.

Mais la bibliothèque, elle-même ? L’histoire des bibliothèques, l’économie des bibliothèques, la bibliothèque dans les pratiques culturelles, la bibliothèque dans les politiques publiques, dans les politiques éducatives, dans les politiques de recherche, dans les politiques de la mémoire, dans les politiques urbaines, etc. ? La bibliothèque comme institution, comme service public, comme espace public ? La bibliothèque dans l’économie du savoir, dans la production du savoir, dans l’accès au savoir ? La bibliothèque comme lieu de travail, avec ses agents au travail, ses outils de travail, ses pratiques, sa culture professionnelle ?

Beaucoup de questions, beaucoup de sujets de recherche. Pourtant, peu de chercheurs pour y travailler. Ici et là, dans telle université, dans tel institut d’études politiques, à l’Enssib, à l’INRP, à la BPI, à l’École normale supérieure, à l’École pratique des hautes études, des étudiants et des chercheurs abordent cet objet de recherche. Mais cette recherche est dispersée, souvent peu visible, ses résultats sont difficilement accessibles – Dominique Varry le montre clairement pour l’histoire des bibliothèques, « domaine presque totalement méconnu » jusqu’aux années 1980 et pourtant domaine sans doute le plus actif en la matière.

D’une certaine façon, la modestie du sommaire de ce dossier est le reflet de la modestie de l’activité de recherche – ou, plus exactement, de la difficulté à capitaliser, synthétiser, rendre compte des travaux qui sont réalisés. Des programmes ambitieux et cohérents devraient être élaborés, aptes à fédérer les énergies et les compétences. Susceptibles de rendre visible cet objet de recherche. Aptes à mieux intégrer les bibliothécaires dans la communauté scientifique. Faute de quoi, la légitimité scientifique des bibliothèques (et des bibliothécaires) continuera à s’effacer derrière l’efficacité gestionnaire ou l’expertise technique qui, certes nécessaires, risquent cependant de les enfermer dans un rôle de prestataires.

La recherche sur la bibliothèque est indissociable du caractère scientifique de la profession.