Cinéma en bibliothèque

par Monique Laroze
sous la dir. d’Yves Desrichard ; avec la collab. d’Yves Alix et Marc Vernet. Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 2004. – 366 p. ; 24 cm. – (Collection Bibliothèques). ISBN 2-7654-0892-0 : 42 €

Depuis la disparition du CAFB Images, il n’existe plus de formation spécifique au métier de vidéothécaire, situation d’autant plus navrante que le domaine de l’audiovisuel connaît des évolutions rapides. La transmission des savoirs professionnels repose essentiellement sur la confrontation d’expériences via les stages et les associations. La littérature spécialisée en langue française – hormis un trop bref chapitre dans Les images dans les bibliothèques de Michel Melot, Claude Collard et Isabelle Giannattasio, qui date déjà de quelques années – est peu accessible, car la documentation écrite se compose d’articles de périodiques, parfois difficilement repérables. C’est dire que la parution, dans la collection de référence publiée par le Cercle de la librairie, de Cinéma en bibliothèque est particulièrement bienvenue.

Un ouvrage ambitieux

Le titre même de l’ouvrage est ambitieux. Pourquoi choisir Cinéma en bibliothèque alors que le lecteur attend vraisemblablement des informations sur le traitement des vidéos dans sa médiathèque ? Parce qu’il s’agit aussi des « papiers du cinéma » (livres, revues, affiches, scénarios, etc.), c’est vrai, mais surtout parce que le propos du livre s’inscrit dans une problématique globale qui n’est pas celle de la simple intendance. La belle introduction des trois responsables éditoriaux explore un certain nombre de paradoxes sous-jacents dans la notion même de « cinéma », à la fois immédiatement identifiable et source de perplexité (film/vidéo, éphémère/durée, art/industrie…), et fixe comme tâche aux vidéothèques de créer la rencontre avec l’œuvre d’art, un « supplément d’âme » en un temps où les définitions se brouillent.

Beau sujet, vaste programme, dont malheureusement la construction de l’ouvrage peine à rendre compte. Les différents chapitres ont été confiés à des auteurs trop nombreux pour qu’on les cite ici, tous éminents spécialistes du cinéma et professionnels des bibliothèques dont la qualification et la notoriété sont indiscutables. Mais on pourra regretter un certain éparpillement dans les différents articles, faute d’une architecture d’ensemble explicite : même s’ils semblent partager la même idée du cinéma, ils restent comme juxtaposés, étrange impression que renforce l’absence d’une conclusion qui vienne cimenter la construction. Du moins le lecteur pourra-t-il parcourir l’ouvrage de façon non linéaire pour y trouver la réponse à ses interrogations du moment.

Deux grands axes

L’ouvrage est divisé en six grandes parties qui peuvent s’articuler autour de deux axes. Le premier passe en revue les connaissances de base en matière de cinéma et d’audiovisuel dans leurs aspects techniques, économiques et juridiques, sociologiques. Absolument essentiels à la bonne compréhension du sujet, bien actualisés, ces exposés semblent un peu surdimensionnés par rapport aux besoins immédiats des bibliothécaires : les chapitres sur la vidéo et sur l’enseignement, tout particulièrement, déploient une masse de détails que la rapide obsolescence de la technique… et des instances de l’Éducation nationale rendra peut-être bientôt caducs. Mais la lecture attentive du chapitre juridique évitera aux novices bien des erreurs.

Le second axe est consacré au travail quotidien en bibliothèque/médiathèque. Il envisage du point de vue de la pratique les différentes tâches que requièrent la constitution et la gestion des fonds. La partie intitulée « Sources documentaires », détaillée en une soixantaine de pages, fait un tour d’horizon de l’édition de cinéma et propose une bibliographie critique sur le sujet, privilégiant les références francophones, mais indiquant les ressources anglophones quand elles sont indispensables. Elle est complétée par un chapitre sur les revues de cinéma, sources de documentation irremplaçables, et par un choix catégorisé de sites Internet, assez succinct, mais suffisamment élaboré pour permettre au curieux de « rebondir » d’un site à l’autre en utilisant les liens. C’est à partir de cet ensemble que le lecteur devra se constituer une culture de base en matière d’histoire du cinéma et de la cinéphilie, indispensable à sa réflexion et son action.

Vient ensuite une section consacrée aux spécificités de la chaîne documentaire en ce qui concerne l’acquisition des documents audiovisuels, cassettes et DVD (laquelle soulève de nombreux problèmes liés à la disponibilité des documents et aux impératifs juridiques), leur traitement (catalogage, indexation, analyse de films), leur conservation – très brièvement évoquée, mais le public visé n’est pas celui des institutions patrimoniales – et leur communication, le tout appuyé sur l’expérience concrète et des exemples précis. Il reste malgré tout difficile, après la lecture de ces chapitres, de se faire une idée de la diversité des établissements et des pratiques, d’autant plus que la question, vitale, des moyens financiers et logistiques à mettre en œuvre n’est qu’effleurée.

La dernière partie, enfin, évoque le rapport des institutions et de leur public : étude sociologique du public de la vidéo (appuyée sur des enquêtes menées à la Bibliothèque publique d’information, mais qui ne prend pas en compte la récente évolution de la communication des films dans cette institution), évolution de la bibliothèque vers la médiathèque au fil des vingt-cinq dernières années et redéfinition en conséquence du rôle que doivent jouer les professionnels. L’ouvrage se termine par un chapitre précis et enthousiaste sur la programmation et l’animation, qui fait écho aux interrogations évoquées en introduction et permet en quelque sorte de leur proposer une amorce de réponse.

Quelques regrets

On trouve en annexe une liste des institutions et centres de ressource, avec des éléments d’identification (adresse, site web) et une information assez détaillée sur leurs missions et ressources. L’ouvrage ne comporte pas d’index : il est vrai que l’établissement en aurait été difficile et que la table des matières très détaillée supplée sans peine à cette absence. Quelques coquilles qu’une relecture attentive aurait permis d’éviter sont difficilement pardonnables : signalons en particulier qu’il faut écrire « making of » et « Movie Review Query Engine ».

On ajoutera quelques regrets : pourquoi la parole n’a-t-elle pas été donnée à la Mission à l’audiovisuel de la Direction du livre et de la lecture et à l’association Images en bibliothèques ? On déplorera également la totale absence d’information et de réflexion sur le secteur jeunesse. Or, étant donné la timidité de la politique de l’Éducation nationale en matière d’éducation à l’image, les bibliothèques doivent inventer, plus que jamais, afin de constituer et diffuser un répertoire et de développer chez le jeune public un appétit pour le cinéma.

Ces réserves, et celles qui sont exprimées plus haut sur la structure de ce guide étant posées, on se félicitera d’avoir enfin à portée de main un unique volume qui regroupe des informations naguère si difficiles à se procurer.