Répartir la conservation des fonds jeunesse
Enjeux et perspectives
Juliette Doury-Bonnet
Le 7 octobre 2004, un colloque national sur le thème de la conservation répartie des fonds pour la jeunesse a été organisé par la Bibliothèque nationale de France (BnF), La Joie par les livres et la bibliothèque de l’Heure joyeuse, en collaboration avec de nombreux partenaires franciliens 1. Cette journée faisait suite à la rencontre d’octobre 2000, « Le livre pour la jeunesse : patrimoine et conservation répartie 2 ». Visiblement, on avait changé d’échelle, passant du petit au grand auditorium de la BnF.
Même si la BnF possède un important fonds pour la jeunesse, réparti entre différents services, Jean-François Foucaud (BnF) a rappelé qu’« elle n’a pas tout et n’a pas vocation à tout avoir », d’où son souci de localiser les sources pour les chercheurs et de mettre en place un réseau de coopération.
Conservation partagée centralisée ou répartie
Pascal Sanz (BnF) avait remis sa casquette de directeur du Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLes) pour proposer un panorama très complet de la conservation répartie dans le monde, étayé de nombreux exemples. Après un rappel historique, il distingua deux options :
– la conservation partagée centralisée est représentée par les Repository Libraries ou « bibliothèques de relégation » : plusieurs bibliothèques font converger une partie de leurs collections « après usage » vers une bibliothèque de dépôt. En France, le CTLes en est un exemple.
– la conservation partagée répartie est présente en France sous deux aspects : la conservation régionale (ainsi le Centre régional du livre de Bourgogne pilote un programme concernant tous les documents publiés dans ou sur la région) et la conservation par type de document (périodiques dans 10 régions, presse quotidienne régionale pour 18 bibliothèques dépositaires du dépôt légal imprimeur, périodiques de médecine en Île-de-France).
Pascal Sanz identifia les avantages et les inconvénients de chaque formule et souligna les points communs : « Il faut un pilote identifié et accepté […] et passer des conventions. »
Le recensement régional des fonds jeunesse
Béatrice Pedot, ancienne déléguée générale de la Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation (FFCB), fit le point sur les programmes de recensement et de conservation répartie des fonds jeunesse en région. La phase de recensement, élaborée de façon autonome par les structures régionales du livre, a été mise en œuvre dans six régions. Encore en projet dans quatre régions, elle n’est achevée qu’en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca). La plupart des régions se limitent à l’imprimé.
Cette étape d’inventaire est coûteuse en temps et en énergie, a remarqué Béatrice Pedot qui a appelé de ses vœux « une cohérence nationale » sous l’impulsion de la Direction du livre et de la lecture. « Une boîte à outils en ligne » (la FFCB poursuit une réflexion dans ce sens) serait utile, de même qu’une démarche de mutualisation.
L’Île-de-France ne possédant pas de structure régionale pour le livre, c’est la Joie par les livres et l’Heure joyeuse qui pilotent le projet de conservation partagée. Viviane Ezratty, directrice de l’Heure joyeuse, et Sophie Ranjard, de la société Kynos, firent la synthèse des principaux résultats de l’enquête 3 menée auprès de 1 531 institutions susceptibles de détenir des fonds jeunesse. Sur les 613 bibliothèques qui ont répondu au questionnaire, 103 sont prêtes à participer à la mise en place d’un réseau. Et 296 pourraient le devenir, à condition de savoir à quoi elles s’engageraient…
Les plans à l’œuvre
Une table ronde, animée par Nic Diament, directrice de La Joie par les livres, a réuni des représentantes de plusieurs régions et de plusieurs types d’établissements 4 afin d’avoir un aperçu de la diversité des programmes.
En Paca 5, seule région à avoir atteint la phase de conservation, les bibliothèques du réseau s’organisent en trois catégories : les « pôles d’excellence » chargés de la conservation, qui n’autorisent que la consultation des documents conservés, les « pôles de ressources » responsables de la veille documentaire dans un domaine précis (le prêt y est possible) et les « bibliothèques participantes » qui collaborent à travers le désherbage. Les bibliothèques départementales de prêt assurent la logistique.
Concernant les collections, on est parti de l’existant : certaines bibliothèques conservaient déjà selon des thèmes transversaux (le théâtre à Avignon, par exemple) visant à l’exhaustivité – et donc intégrant les « mauvais livres ». À d’autres établissements, on a proposé des éditeurs ; quelques sites ont choisi de conserver des auteurs (ce qui peut convenir à des bibliothèques disposant de peu de place…) ou des thèmes, mais l’important est de prendre en compte l’intérêt de la ville. Le catalogue est accessible en ligne.
Annie Poggioli insista sur le rôle essentiel d’une structure régionale pour le livre, même s’« il ne faut pas tout lui demander » (Christine Desplebains) : elle assure en particulier le conventionnement entre les établissements, indispensable pour une pérennisation du projet. Viennent ensuite les problèmes de logistique, les achats à prévoir pour compléter les fonds.
La formation, en particulier au désherbage, et la transmission des connaissances ont été évoquées tant par les intervenantes que par le public.
Dans son intervention sur les livres pour la jeunesse comme objet patrimonial 6, Noëlle Balley (Service scientifique des bibliothèques de la ville de Paris) s’interrogea sur la spécificité des livres et des bibliothèques pour enfants. Elle remarqua que certains documents pour la jeunesse ne sont conservés nulle part : les documentaires, les documents sonores, les périodiques, les objets dérivés (le fameux gadget de Pif), les travaux qui témoignent de la réception des livres… Elle encouragea à donner la vision « la plus honnête et la plus lucide de la production », ce qui inclut les « mauvais livres ». Car quels seront les thèmes des chercheurs dans deux cents ans ? « Conserver ce que les autres ont pilonné, c’est une vraie politique patrimoniale », a-t-elle conclu.