Les droits de reproduction dans les bibliothèques, les archives et les musées

Source de revenus ou de partenariat ?

Blandine Allary

Delphine Guigues

La journée d’étude sur les droits de reproduction, organisée à Troyes le 18 novembre dernier par l’IUP Patrimoine culturel et documentaire (Université de Reims Champagne-Ardenne), la Médiathèque de l’agglomération troyenne et l’agence de coopération Interbibly, a rencontré un vif succès de la part des professionnels de la culture (bibliothèques, archives et musées). Les intervenants ont soulevé les problèmes inhérant aux droits de reproduction. Les points de vue de juristes, d’éditeurs ou de conservateurs ont permis de traiter cette problématique sous différents angles.

Après le rappel de la réglementation en vigueur qui s’appuie à la fois sur le code de la propriété intellectuelle, le droit de la propriété matérielle et le droit public, ont été évoqués certains cas concrets qui touchent les professionnels : les inventaires d’archives, tout comme les photographies d’œuvres, ne sont en effet pas protégés par le droit d’auteur, en raison de leur caractère non original. Les cas de l’atelier de numérisation de la médiathèque de Troyes et de la Bibliothèque nationale de France (BnF) ont permis de rappeler que droit de reproduction et copyright sont trop souvent confondus. Pour la reproduction de documents, la numérisation est considérée comme une reproduction et la diffusion en ligne comme une représentation.

Les pratiques des établissements

Les résultats d’enquêtes préalables ont permis d’établir un parallèle avec les pratiques concernant les droits de reproduction identifiées lors de la journée organisée par la Cobb en 2001  1. Les enquêtes ont confirmé d’une part la variété de ces pratiques en fonction de la taille de l’établissement et d’autre part la crainte du support numérique, toujours présente.

54 % des établissements n’autorisent pas la reproduction, principalement pour des raisons juridiques ou de conservation.

De plus, le droit du propriétaire sur l’image d’un bien a récemment été remis en cause. Se pose alors la question des problèmes économiques que la photographie de biens publics peut entraîner, de même que la commercialisation de clichés portant sur des documents d’archives ou des manuscrits en bibliothèque sur lesquels l’institution n’a aucun contrôle. Les établissements sont pourtant nombreux à posséder des clichés de leurs collections qu’ils prêtent souvent à des institutions ou à des particuliers.

Ceux qui acceptent de reproduire les documents font payer des droits de reproduction. Le prix de la prestation est souvent dissocié de la redevance d’utilisation, généralement calculée en comparaison avec d’autres institutions municipales ou avec la BnF. Mais la vente de clichés, qu’il s’agisse du Conservatoire général de la carte postale ou de l’atelier de numérisation de la Médiathèque de l’agglomération troyenne, constitue plus un service qu’un réel apport financier pour l’établissement.

L’édition

L’après-midi, trois éditeurs ont abordé, chacun dans son domaine – les livres d’art, l’édition numérique à la carte et l’édition multisupport –, la question des droits de reproduction lors de coéditions avec des établissements publics tels quels les musées, les bibliothèques, les centres de recherche ou le CNRS.

Dans le cadre de leur partenariat avec les musées, les éditions Somogy laissent à la charge de l’institution les négociations de droits de reproduction pour se concentrer sur la mise en forme, la diffusion et la promotion du livre.

L’activité des éditions Phénix, nées en 1991, se passe essentiellement sur Internet via la librairie en ligne Librissimo. Le partenariat avec les bibliothèques s’envisage sous deux aspects : premièrement, l’autorisation pour les éditions Phénix de transposer dans leur catalogue en ligne  2 les catalogues des bibliothèques  3 ; deuxièmement, Librissimo négocie l’utilisation commerciale du fichier numérique imprimé à la demande et verse une redevance à la bibliothèque qui en est propriétaire.

Les éditions du Nouveau monde pratiquent trois types de coédition : celles qui émanent d’un projet éditorial et qui nécessitent un démarchage auprès d’une institution, celles qui proviennent des institutions elles-mêmes et celles menées conjointement qui accompagnent un événement ou une commémoration. Les droits de reproduction sont forfaitaires et varient suivant le document entre 50 et 300 euros. Dans le cas d’une édition faite à la demande d’une institution, 15 à 25 % du prix public hors taxes reviennent à celle-ci. Lorsqu’il s’agit d’une coédition pure, les frais sont partagés en amont et les recettes divisées au prorata des apports.

Les trois éditeurs s’accordent à dire que les droits de reproduction sont trop contraignants d’un point de vue juridique et ce plus particulièrement dans les domaines du droit à l’image et du droit de la propriété.

Valorisation du patrimoine

L’expérience de James Éveillard de la Bibliothèque municipale de Baud donne un bon exemple de valorisation du patrimoine ainsi que des pistes de réflexion quant à la protection contre la reproduction d’images sur Internet. En effet, cette petite ville du Morbihan, qui possède depuis 1995 un Conservatoire régional de la carte postale, a créé un site Internet  4 en 2002, en s’appuyant sur les dernières recherches en matière de cryptage d’images. Un filigrane numérique permet d’identifier à tout moment une carte postale provenant du musée de Baud mais aussi de ne délivrer une image parfaitement lisible qu’aux utilisateurs ayant acquitté les droits de reproduction. Cette solution permet un contrôle accru de l’utilisation des reproductions des cartes postales ainsi qu’un revenu non négligeable  5 pour le musée de Baud.

En fin de journée, la question des droits de reproduction dans un cadre euro-méditerranéen a été présentée par Stéphane Ipert du Centre de conservation du livre d’Arles. Le projet Internum a pour objectif la collaboration de bibliothèques de différents pays : la France, l’Italie, l’Espagne mais aussi le Liban et les pays du Maghreb. Il faut normaliser les méthodes de travail, notamment en matière juridique, afin non seulement de faciliter la coopération entre les pays mais aussi d’en protéger certains, tel que le Liban qui voit son patrimoine commercialisé par des sociétés étrangères.

L’étude juridique comparée sera publiée courant 2005, ainsi que les actes de cette journée d’étude.