La lecture publique et l'intercommunalité en France
Juliette Doury-Bonnet
La Bibliothèque publique d’information (BPI) a accueilli le 5 octobre dernier une journée d’étude sur le thème « La lecture publique et l’intercommunalité en France », organisée par l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP) et l’Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France (ADBGV), en partenariat avec l’Observatoire des politiques culturelles.
Éric Gross, directeur du livre et de la lecture, a remarqué en préambule l’augmentation rapide du nombre de bibliothèques dépendant d’intercommunalités et a souhaité donner à ce « phénomène émergent […] dont les effets sont positifs, un coup d’accélérateur, en concertation avec les élus ». Car l’intercommunalité « est un enjeu important en matière de coopération pour améliorer le service rendu », même si elle suscite parfois des craintes (changement des habitudes de travail, fin d’une certaine indépendance, omnipotence des grands établissements à vocation régionale). Certaines initiatives, comme le programme des « médiathèques de proximité », les Ruches, ne pourraient pas exister sans elle.
Une révolution dans les politiques culturelles
La matinée a été consacrée à la présentation des résultats d’une étude 1 commanditée par l’ADBDP et l’ADBGV et pilotée par l’Observatoire des politiques culturelles, dont le directeur, Jean-Pierre Saez, a souligné qu’avec la territorialisation de l’action publique, on assistait à un changement de paradigme, à « une révolution copernicienne dans les politiques culturelles ». Les quatre chercheurs en science politique 2 qui ont mené l’enquête auprès des professionnels des bibliothèques en ont évoqué la méthodologie et le contexte, ont justifié le choix des terrains et ont tiré la leçon de la place centrale de la lecture publique dans le cadre intercommunal.
Si la culture est une compétence optionnelle, elle a été choisie par une majorité de communautés d’agglomération. Emmanuel Négrier a dégagé les raisons qui mettent la lecture publique « en pointe de l’intercommunalité » : la question des charges de centralité qui se pose différemment dans les autres secteurs culturels, la mobilisation des professionnels « qui se sont servis de l’intercommunalité avant tout le monde » et la conviction des élus qui « considèrent la lecture publique comme plus légitime que les autres secteurs culturels ». Il a identifié quatre attentes : la professionnalisation (avec la question des bénévoles), la mutualisation (informatisation et partage documentaire), la recherche de nouveaux publics et la mise en place de nouveaux services, le changement des référentiels de métier.
Pour Alain Faure, le rapport fait état d’« éléments de rupture de sens difficiles à appréhender ». Avec l’intercommunalité, a-t-il souligné, on entre dans une « France différentielle » : « On ne fait plus de la lecture publique pareil partout. » En conclusion, il a conseillé aux bibliothécaires de se dépêcher de construire une image positive de la lecture publique « avant que le secteur ne devienne impopulaire ».
À partir de leur expérience sur le terrain héraultais, deux membres du comité de pilotage de l’étude, Gilles Gudin de Vallerin, directeur des médiathèques de la communauté d’agglomération de Montpellier, et Jean-Michel Paris 3, directeur de la Bibliothèque départementale de prêt de l’Hérault (BDP), ont donné leur point de vue de professionnels sur l’enquête et sur l’intercommunalité. Le premier, s’il ne lui semblait pas possible de modéliser les cas présentés, a suggéré que, dans la mesure du possible, « la notion d’intérêt communautaire soit précisée par des critères objectifs » (surface, zone d’attraction, public ?). En écho aux interrogations des précédents intervenants sur l’avenir des BDP dans un contexte d’intercommunalité – suppression ? spécialisation ? –, Jean-Michel Paris a conclu que « la BDP [de l’Hérault] élargit ses missions pour être l’instrument d’équilibre de l’offre entre les territoires ».
Un fromage explosif ?
La première table ronde de l’après-midi avait pour thème les recompositions territoriales et les nouveaux partenariats institutionnels. L’animateur, Jean-Pascal Quilès (Observatoire des politiques culturelles), s’est fait l’avocat du diable : si l’intercommunalité semble « la bonne échelle », n’est-elle pas « un fromage explosif » et « une méthode pour relancer une partie de l’action publique » ? Les participants 4 ont exposé leur situation locale. L’un d’eux, Olivier Bianchi, a souligné qu’actuellement, on était « plus dans le politique que dans le juridique : certains projets pourraient être retoqués par les préfets. C’est la Ruée sur l’Oklahoma… »
La deuxième table ronde traita des effets de l’intercommunalité sur la lecture publique. Thierry Grognet donna l’éclairage de la Direction du livre et de la lecture : « D’un point de vue légal, une bibliothèque intercommunale ou territoriale n’existe pas. » Mais sur le terrain, toutes sortes d’initiatives prennent corps. Que reste-t-il à (de) l’État ? « Il doit rester présent, ni trop, ni trop peu, définir (lois Chevènement et Voynet), accompagner (concours particulier), impulser (en lançant les Ruches, le programme était de relancer le débat sur les services proposés, la notion de qualité), soutenir les efforts des établissements nationaux, […] mieux mettre en adéquation les formations… » Une réflexion est engagée pour se recentrer sur des priorités : mener à bien les inventaires et le catalogage des fonds patrimoniaux.
Les autres intervenants 5 mirent l’accent sur les nouveautés en matière de projets, de réseaux, de services, de pratiques professionnelles… Parmi eux, Thierry Delcourt insista sur l’important travail de conviction qu’il faut mettre en œuvre auprès des bibliothécaires et des élus concernés par l’intercommunalité et sur la nécessité de conventions entre les partenaires. Il remarqua qu’à Troyes, l’élément fédérateur n’avait pas été l’informatique, contrairement à ce que pensaient les élus, mais l’action culturelle « qui prend en compte le public », grand absent des débats à la tribune – mais pas des questions venues de la salle, bondée –, à juste titre puisqu’il n’était pas l’objet de l’enquête.
Comme le remarqua Gérald Grunberg, directeur de la BPI, « l’action culturelle, critère de modernité dans les années 1970, balayée avec la révolution technologique, redevient le facteur fort dans l’intercommunalité ».