Territoires de lecture et lecture des territoires
Journées d'étude de l'ADBDP
Annie Le Saux
Territoires de lecture et lecture des territoires, tel était le thème des journées d’étude annuelles de l’Association des directeurs des bibliothèques départementales de prêt, à Tours, les 8, 9 et 10 novembre 2004. Par-delà le jeu un peu défraîchi de l’inversion, le choix de cette formule énonçait bien l’ampleur et la complexité de la mise en œuvre de politiques culturelles variant en fonction des territoires, de leur configuration et de leur histoire.
Mais avant de parler de l’intercommunalité, il y eut le passage par les rituels discours liminaires du président de l’ADBDP, Didier Guilbaud, qui détailla les points de discussion avec l’Administration centrale (le budget, la loi sur les bibliothèques, la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins…), du président du conseil général d’Indre-et-Loire, qui approuva comme il se doit les actions de son département en faveur du livre et de la lecture, et enfin, du directeur du livre et de la lecture. Éric Gross, fit, cette année, le point sur trois des dossiers essentiels de la DLL : les médiathèques de proximité, autrement dit les « Ruches », dont deux tiers des 200 projets recensés en 2004 sont implantés en zone rurale et qui verront en 2005 leur action s’orienter vers les zones péri-urbaines ; la réforme du concours particulier des bibliothèques, qui prévoit de réabonder la part « investissement 1 » en transférant une partie des crédits de l’enveloppe « fonctionnement » – un fonctionnement qui est pourtant ce qui, avec les emplois, pose le plus de problèmes aux bibliothèques, a cependant objecté Dominique Lahary ; l’évaluation statistique enfin, qui a vu naître, en 2004, un nouveau questionnaire et dont les données seront mises en ligne en 2005. Éric Gross s’est aussi dit préoccupé par le fléchissement du taux des inscrits en bibliothèque, et a annoncé le lancement, en 2005, d’une enquête sur ce sujet, sous la conduite de la Bibliothèque publique d’information.
La compétence culturelle
Essayons d’y voir clair. Dans la loi de décentralisation, la compétence « culture », à laquelle sont rattachées les bibliothèques, tout comme les spectacles vivants, le théâtre, la musique, etc., n’est qu’une compétence optionnelle (ou facultative) parmi d’autres. Cependant, cette compétence est choisie par bon nombre d’intercommunalités, et, à l’intérieur même de ce secteur culturel, c’est la lecture publique qui est le plus souvent retenue. Emmanuel Négrier (Centre d’études politiques de l’Europe latine, Université Montpellier I) en rappela les raisons, qu’il avait déjà énoncées lors de la journée d’étude du 5 octobre à la BPI 2.
Outre que chaque petite commune peut avoir sa bibliothèque, le projet de la ville centre est accepté par les autres communes, à condition qu’elles puissent profiter de ses compétences et de ses services, ainsi que l’a observé sur le terrain Serge Lestrille (Émergence Sud, bureau d’étude et de conseils sur les projets de politique culturelle).
L’intervention des élus, présidents de communautés de communes, n’a fait que confirmer les avantages attendus du partage des charges par les différentes communes, qu’il s’agisse de l’élargissement des services de la bibliothèque, de l’augmentation du nombre des usagers ou de la professionnalisation du personnel.
De plus, la nouvelle dimension territoriale qu’offre l’intercommunalité aux politiques culturelles s’inscrit dans une logique de développement économique, et a un impact certain sur la fixation des populations. Cette « économie résidentielle » (Jean-Paul Laborie, professeur à l’université de Toulouse-Le-Mirail fit un exposé passionnant sur le thème des petites villes et de la métropolisation) serait une façon de freiner « la dilution de la spécificité des petites villes dans une banalisation territoriale ».
La lecture publique devient ainsi un enjeu dans les politiques départementales et même régionales, qui, traditionnellement, interviennent plutôt dans les domaines de l’édition et de la librairie.
Mais la complexité de la mise en œuvre n’est pas à minimiser et Sylvie Jansolin (Mairie-Conseils 3) a remarqué que l’essor de l’intercommunalité a accéléré le nombre de questions posées à son service et généré beaucoup d’incertitudes. Le récapitulatif très utile de l’actualité juridique et plus particulièrement de la loi du 13 août 2004 qu’elle a fait s’est conclu sur de fermes recommandations à tous les partenaires de s’appuyer sur une protection juridique forte (rédaction de conventions, réunion, à chaque transfert de biens ou de personnes, de la Commission d’évaluation de transfert des charges…).
Multiplicité de projets
Partant de plusieurs études de cas, les ateliers ont illustré l’extrême variété de projets et d’enjeux liés à l’intercommunalité. Outre à la multiplicité des interprétations du territoire (communes, pays, territoires, communautés de communes, d’agglomération, urbaines…), on est confronté à une non moins grande prolifération de nouvelles dénominations : on ne parle plus de bibliothèque municipale ou départementale de prêt, mais de bibliothèque publique de communautés territoriales, de médiathèque intercommunale, de médiathèque départementale, de médiathèque communautaire, de direction départementale des bibliothèques et de la lecture, et j’en oublie. À cette diversité de dénominations correspond une diversité de configurations et de projets (transfert plus ou moins complet des équipements et de la gestion des personnels).
Pour bien réussir une intégration, quelques principes de base ont été mentionnés à plusieurs reprises, que Jacques Dubay (maire d’Alboussière) a résumés ainsi : il ne faut pas imposer, il ne faut pas regrouper dans la ville centre toutes les activités, il faut que l’intercommunalité réponde au principe gagnant/gagnant, qu’elle innove, modernise l’offre, clarifie les tâches de chacun… et avant tout, que les élus aient un réel projet politique concernant la culture. Joëlle Pinard (BDP de la Drôme) a elle aussi souligné que « transférer des bibliothèques d’une échelle communale à une échelle intercommunale pour de seules raisons financières, sans avoir au préalable réfléchi à une politique culturelle, conduisait à l’échec », tandis que Daniel Hubert (directeur de l’Action territoriale du conseil général du Val-d’Oise) insistait sur la nécessité d’« une vraie culture de gestion de projets » comme élément déterminant du développement de la politique communautaire. L’exemple de la médiathèque intercommunale du pays de Pézenas a clairement démontré qu’une décision politique non accompagnée d’un projet culturel préalablement défini pouvait transformer un modèle connu pour son intégration en un modèle totalement déstructuré. Cela explique peut-être aussi que plusieurs communes aient décidé de sortir de l’intercommunalité.
Pour terminer ces journées sur une part de rêve, Rob Bruijnzeels (Association des bibliothèques publiques néerlandaises, NBLC) nous fit partager, en s’appuyant sur un magnifique travail d’animation et sur le postulat – qui nous agrée, bien évidemment – que le livre vivra éternellement, des visions créatives de la bibliothèque de demain. Se défendant de faire de la futurologie, Rob Bruijnzeels a vivement insisté sur le fait qu’il s’agit bien « non pas de moderniser mais de renouveler et d’imaginer ». Et l’imagination était partout présente dans la projection sur écran de sept bibliothèques, dont l’Hôtel Alphabet, où l’illustrateur Joost Swarte a dessiné une bibliothèque dynamique avec des allées et venues de livres, présentée comme un hôtel, avec un accueil, une cheminée, des fauteuils ; la bibliothèque d’amis, formée d’un réseau de plusieurs bibliothèques personnelles, où l’on se retrouve autour d’un verre ; la bibliothèque des partisans (exprimant la résistance et la liberté des enfants et symbolisant l’attrait de ce qui est défendu), qui a consisté à cacher une bibliothèque dans la campagne…
Les bibliothécaires, pour l’avenir desquels Jean-Pierre Durand (Centre Pierre Naville, Université d’Évry), a élaboré quatre scénarios 4, ont encore de quoi inventer.