La littérature-charentaise

Thierry Ermakoff

Au printemps 2004, un sujet d’importance est venu troubler la quiétude des utilisateurs de Biblio.fr  *, entre les choix de boîtiers de CD, les propositions de dons de bibliobus et de fichiers métalliques : proposer 5 titres (de musique initialement, puis de livres et de films) à emporter sur une île déserte. On allait voir ce qu’on allait voir ; de la littérature que c’est la peine ; des œuvres oubliées, des auteurs trois fois morts ; des livres dont personne ne veut, ou ne connaît l’existence ; ceux qu’on ne comprend pas, plus, ou pas encore. Bref, enfin, du temps, des loisirs pour embrasser le monde entier. Face à la plénitude – ou la vacuité, c’est selon – de l’horizon, loin de la télé réalité, de la misère symbolique sur nos écrans surchargés.

Il faut bien constater que l’infini des horizons a une sacrée tendance à se rétrécir, à se contracter. On en a vite fait le tour : le top 10 des biblionautes est Daniel Pennac, Belva Plain, Juliette Benzoni, Danielle Steel, Harry Potter, René Barjavel, le conte (sic) de Monté cristo (re-sic), Stephen King, Bernard Werber, et Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier.

On finirait par se demander s’il s’agit d’une île déserte, de « loft story », ou de « la ferme célébrité ». À moins que nos cerveaux ne soient devenus à ce point poreux, ou disponibles, selon le nouveau concept de l’été.

Pourtant, « un modeste assistant de conservation » nous autorise tous les espoirs, avec des choix que l’on n’attendait (presque) plus : Dominique Poncet, James Agee, Arno Schmidt… Il ne manquait plus que notre insurpassable poète décadent national, Adoré Floupette, et notre joie eût été sans mélange. Ainsi sont les bibliothécaires, les vrais : ils murmurent, discrètement, ne s’aventurent peu ou pas, et quand ils le font, c’est avec pertinence et une extrême modestie.

Jean Paulhan disait à Robert Mallet qui l’interrogeait : « En général, les gens sont exténués par leur métier, par leurs préoccupations, par leurs plaisirs. On n’a pas tous les jours la chance de tomber malade. Songez qu’il faut, à un homme normal, une typhoïde au moins pour lire Proust. Pour Saint-Simon, une tuberculose. Alors, on court au plus pressé. Il y a toujours quelque Simenon sous la main […]. Il y a un autre avantage : ce sont en général des romans qu’on oublie à mesure qu’on les lit. Quand on a fini, il n’y a qu’à recommencer. Cela fait de grandes économies. »

L’économie est donc partout. On ne l’imaginait qu’en Auvergne. Vialatte nous l’avait assuré : « C’est sa vraie patrie. Elle y court sur les monts avec sa crinière d’or. » Et la voilà sur les îles désertes. Fuyons les îles désertes à la bonne santé suspecte, rejoignons les gouffres de la sécurité sociale, tombons malades ! Et que vive enfin la littérature.