Editorial
Anne-Marie Bertrand
Les bibliothèques n’ont-elles plus d’ennemis ? Cette question a été soulevée au conseil scientifique du BBF, où l’on commentait le consensus sans enjeu ni passion dans lequel, depuis quelques années, les affaires culturelles semblent s’être installées.
L’indifférence polie serait-elle aujourd’hui la dernière ennemie des bibliothèques – l’indifférence des tutelles, des responsables, des élus, des usagers ? Ne subsisterait-il que cette dernière manifestation, il y aurait matière à gloser sur les ennemis des bibliothèques tant seule la volonté politique peut assurer leur avenir. L’absence de volonté, le désintérêt ont très longtemps été le frein principal au développement de bibliothèques modernes en France. Paul Poindron le soulignait déjà en 1956 : « Il est vrai que les idées ne suffisent pas, il faut les moyens de les mettre en œuvre, il faut du personnel, des locaux, des crédits […]. Il est à craindre que les bibliothèques ne soient toujours parcimonieusement servies. Les accroissements de crédits que l’on a pu obtenir sont insuffisants. Une des raisons en est certainement le respectueux mépris par lequel on traite les bibliothèques. On veut bien reconnaître leur utilité, on se refuse à admettre leur nécessité » 1. Cette analyse, presque cinquante ans plus tard, est corroborée par Jean-Noël Jeanneney, lors des 3es Entretiens de la BnF : « Les moyens que la communauté nationale nous donnera dépendront de notre capacité à prouver non seulement que nous sommes précieux, mais que nous sommes indispensables. » Aujourd’hui, dans certaines villes (grandes et petites), dans certaines universités, dans certains collèges, dans certaines entreprises, dans certains hôpitaux, ce « respectueux mépris » est encore à l’œuvre.
Mais cet ennemi invisible (et puissant) n’est pas le seul. Car les bibliothèques subissent aussi les attaques d’ennemis mieux identifiés, plus traditionnels : les moisissures, les vrillettes, le soleil, l’humidité, la sécheresse, la lumière, et surtout les hommes. Les lecteurs. Les bibliothécaires. Et les autres, les guerriers, les pilleurs, les fanatiques, les destructeurs qui ont sévi à Beyrouth, à Sarajevo, à Grozny, à Bagdad soulignant la fragilité des bibliothèques, « toujours menacée par l’ignorance, la violence, l’histoire, le temps et la barbarie des hommes » 2.