Les sciences de l'information et de la communication
savoirs et pouvoirs
Instituée en 1974 par l’université française, la discipline des « sciences de l’information et de la communication » a été d’emblée placée sous le signe de l’alliance de l’information et de la communication, alors qu’on distingue ici les études de journalisme de la bibliothéconomie, là les communication studies des media studies ou des cultural studies.
Cette discipline s’intéresse en particulier à des objets fortement investis socialement comme les médias, les institutions culturelles ou les réseaux de télécommunication, et à des valeurs centrales comme la démocratie, le droit à l’information, la communication ou le partage du savoir, selon les initiateurs et coordinateurs de ce numéro 38 de la revue Hermès. Pour présenter cette discipline, ceux-ci ont pris le parti de chercher à identifier quelques-unes des nouvelles questions qu’elle a posées au cours de sa courte histoire, plutôt que d’en produire une historiographie ou d’en faire une description de nature encyclopédique.
Intéressés par les pratiques, les contradictions, les ouvertures, les questionnements que l’instauration de cette discipline a fait naître, ils ont voulu un ensemble de textes à visée épistémologique et ont sollicité des auteurs, enseignants-chercheurs expérimentés pour la plupart, afin qu’ils évoquent le type de questions que la discipline permet de traiter et montrent en quoi elle les traite d’une manière qui lui est propre.
La question des frontières
L’ouvrage est composé de quatre parties. Chacune d’elles comporte un court texte liminaire des coordinateurs et regroupe de cinq à sept contributions.
La première, intitulée « L’invention problématique d’un champ », montre comment, à partir de cas précis, les recherches en sciences de l’information et de la communication (SIC) ont élaboré des problématiques nouvelles, tout en s’appuyant sur les acquis scientifiques d’autres disciplines comme les sciences de gestion, l’économie politique, la sociologie, l’anthropologie ou la sémiologie. Les auteurs mettent bien en évidence l’évolution, au cours des trente dernières années, des approches scientifiques qui président à l’étude de leurs objets de recherche (les pratiques d’information dans les organisations, les industries de la culture et de l’information, les médias audiovisuels, l’activité politique). Aux travaux strictement sémiologiques ou sociologiques ou économiques du début ont succédé des recherches qui s’attachent à rendre compte des phénomènes de médiation, d’information, de communication dans une perspective de plus en plus interdisciplinaire.
Les auteurs de la deuxième partie, « Les SIC en perspective », s’interrogent sur les relations que peut établir cette discipline récente avec des disciplines plus anciennes, celles qui observent les mêmes réalités ou qui ont des projets semblables. Apporte-t-elle quelque chose de nouveau vis-à-vis de ces dernières ? Se contente-t-elle de leur emprunter des concepts et des méthodes ou offre-t-elle un nouveau point de vue sur une réalité qu’elles ont déjà analysée ? C’est ainsi que sont analysés les liens qu’entretiennent, ou pourraient entretenir, les SIC et la rhétorique, notamment pour analyser l’interaction entre publics et discours, les SIC et la sémiotique, avec la prise en compte commune du sujet de l’énonciation et du « social » dans l’étude de l’image et du texte, les SIC et les communication (ou speech) studies ou cultural studies anglo-saxonnes, les SIC et la sociologie, pour les nombreux emprunts, méthodologiques en particulier, des premières à la seconde. Pour l’un des auteurs, la question des frontières entre disciplines voisines est fondamentale et suscite de nombreux débats et de nombreuses querelles, mais les conflits frontaliers permettent à tous de progresser. Ceci étant, si une discipline scientifique est une manière d’interroger des objets concrets, de les constituer en objets scientifiques, les objets des SIC ont ceci de spécifique qu’ils ont à la fois une dimension sociale, une dimension technique et une dimension sémiotique.
Une des caractéristiques essentielles de la discipline SIC est qu’elle a été conçue d’abord à des fins d’enseignement et de formation à des métiers, ceux du journalisme, des relations publiques, de la documentation, des bibliothèques, etc.
La troisième partie de l’ouvrage est consacrée aux méthodes, aux pratiques et aux relations entre professionnels et chercheurs. Un des auteurs note que ces relations restent somme toute assez limitées : les uns incriminent le caractère abscons des discours théoriques et leur faible lisibilité, les autres refusent de se laisser instrumentaliser dans une perspective d’entreprise. S’il en est ainsi, c’est que professionnels et chercheurs légitiment leur activité dans des espaces sociaux, économiques, politiques très différents, et leurs univers respectifs restent assez éloignés même si l’on observe un lent rapprochement.
Les enjeux du développement des SIC
Le développement des SIC a été porté par un large mouvement politique, économique et social faisant des phénomènes d’information et de communication des leviers essentiels de la transformation des cultures et des sociétés. Ce soutien représente un avantage certain, mais, en retour, impose de grandes responsabilités.
Les auteurs s’exprimant dans cette dernière partie, intitulée « Champ scientifique et enjeux sociaux », cherchent à mettre en évidence les réels enjeux, les réels jeux de pouvoir, les réelles logiques sociales qui se cachent derrière des discours séduisants. Cette partie ne couvre pas l’ensemble des problèmes sociaux liés à l’information et la communication, elle soumet à la réflexion quelques observations sur les enjeux sociaux et politiques du développement des technologies de l’information et de la communication, dans le domaine de l’enseignement en particulier.
L’ouvrage se termine par l’examen d’un domaine peu familier des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, celui de la recherche prospective, que les problèmes sociaux, économiques, environnementaux rendent aujourd’hui indispensable. L’auteur fait apparaître les dimensions informationnelle et communicationnelle de toute étude prospective, qui suppose une analyse des processus d’échange au sein des forums prospectifs et une maîtrise des méthodes narratives applicables à l’élaboration des scénarios d’avenir.
Outre les bibliographies propres à chacune des vingt-cinq contributions, figure dans cet ouvrage une bibliographie indicative fort utile à qui s’intéresse aux sciences de l’information et de la communication.
Pour conclure, ce numéro d’Hermès me semble bien rendre compte des questions actuellement traitées par une bonne partie des chercheurs en SIC. Mais d’une partie seulement, un domaine important des SIC, dans lequel se situent plusieurs enseignants-chercheurs français, n’y est que très peu évoqué : celui que l’on pourrait appeler les sciences du document et du livre. De nombreux enseignements existent dans ce domaine, mais, peut-être la recherche y est-elle trop discrète ?