Rapport annuel 2003 de l'Inspection générale des bibliothèques
Rapport accessible sur le site web de l’IGB : http://www.education.gouv.fr/syst/igb (rubrique « Publications »).
La parution de ce rapport, depuis plus de dix ans maintenant, est un moment fort de l’année, car c’est – à côté d’outils statistiques tels les rapports annuels d’activité des bibliothèques universitaires ou des bibliothèques territoriales – une lecture transversale, la seule, de la vie des bibliothèques françaises – et parfois au-delà –, qu’il s’agisse de leurs personnels, des concours de recrutement, des thématiques et questions générales en cours. Depuis quelques années, il est consultable en ligne.
Sa structure générale est maintenant fixée : rappel des missions de l’Inspection générale des bibliothèques (IGB), rappel des visites et contrôles auxquels il a été procédé, des activités « personnelles » de chaque inspecteur et ce qui change chaque année : des études et observations transversales.
En effet, soit qu’il s’agisse d’une demande explicite d’un ministre, soit que l’Inspection – à partir d’observations concordantes – aura souhaité approfondir ces points, le rapport annuel présente une ou deux études lourdes, thématiques, particulièrement intéressantes. Cette année, « les bibliothèques territoriales et la décentralisation » font l’objet de ce dossier, notamment à travers une analyse complète du dispositif du concours particulier des bibliothèques territoriales, seule étude parue et diffusée à ce jour, menée sur le long terme, en forme de bilan, d’où son intérêt. J’y consacrerai donc la part la plus importante de cette recension.
Missions en Afghanistan et en Irak
Mais, qu’il me soit permis de noter deux études sur des bibliothèques étrangères, dans des pays en grande difficulté, que l’Inspection a eu l’occasion de visiter : l’Afghanistan et l’Irak. Situations toutes deux apocalyptiques, au sens strict du terme, dans des pays où il y eut – il n’y a pas si longtemps – de véritables trésors manuscrits et imprimés. Même si les pertes n’ont pas toujours été aussi totales que ce qui a été dit dans un premier temps, la situation est à reconstruire totalement : dans quel contexte d’autorité locale ? Avec quels moyens, dans quels locaux, avec quels personnels ? L’aide internationale aura du mal à s’investir dans une situation non pacifiée, où les besoins les plus élémentaires ne sont pas satisfaits. Les priorités sont nombreuses : qualification des personnels, loi sur le dépôt légal, bâtiments à réhabiliter… Moment d’espoir : dans la bibliothèque publique de Kaboul quelque peu vide, un café Internet ouvert par l’Unesco est très fréquenté.
Bibliothèques territoriales et décentralisation
Le grand dossier de cette année (plus de 40 pages, qui se lisent sans effort) est donc la décentralisation. Après une vingtaine d’années de mise en œuvre (1986 dans le secteur culturel), ce bilan peut être valide… Il est en tout point passionnant. À côté de chiffres sur le long terme, collectés auprès de la Direction du livre et de la lecture (DLL) et des directions des affaires culturelles (Drac), les inspecteurs chargés de ce travail procèdent à des comparaisons, des analyses, et vous proposent même une petite énigme 1.
Mise en situation générale : quelques chiffres sur les différents niveaux de collectivités, y compris les plus récentes, les EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) qui commencent à prendre une place non négligeable dans la gestion des bibliothèques : 37,5 % des EPCI auraient choisi la compétence culturelle au 1er janvier 2004.
Après un rappel historique sur le contexte dans les années 1980, juste avant la décentralisation de 1982-1983, le rapport situe l’institution de ce fameux « concours particulier » tout à fait dérogatoire aux principes usuels de la décentralisation, puisque l’État se réservait le droit de flécher des crédits, alors que la règle était la globalisation dans la DGD (dotation générale de décentralisation).
On lira avec intérêt les tableaux statistiques, le suivi des crédits déconcentrés, leur évolution depuis 1986, les remarques sur l’assiette prise en compte pour la première part – celle qui attribue aux communes un taux proportionnel à leurs dépenses, à une partie de leurs dépenses pour leur bibliothèque municipale.
On étudie avec plus que de l’intérêt les taux moyens de subvention, fort différents d’une région à l’autre pour l’investissement, la deuxième part : attribuée sur dossier, pour la construction, l’extension de locaux, le patrimoine et l’informatisation. Jamais ces chiffres n’avaient été publiés en totalité ; ils sont plus que signifiants !
Une des remarques régulièrement faites est celle de l’effort de fonctionnement : « globalement le fonctionnement des BM n’est pas à la hauteur des équipements », qu’il s’agisse des horaires d’ouverture, des services offerts, des recrutements de personnels suffisants et qualifiés. La question de l’efficacité d’une incitation plus forte de l’État – actuellement autour de 3,5 %, en décroissance régulière depuis 1987 – a été plusieurs fois posée : si l’État subventionnait à hauteur de 10 %, cela inciterait-il les villes à mieux doter leurs BM ? L’IGB semble en douter : « Remboursement ou pas, 3 % ou 10 %, une ville qui croit à l’utilité culturelle et sociale de la BM ne lui donnera-t-elle pas de toute façon les moyens de fonctionner au mieux ? Une ville qui n’y croit pas se laissera-t-elle convaincre par une aide de 3 % ou de 10 % et même de 15 % ? » Je souscrirais personnellement assez à cette vision des choses : de plus en plus, les villes décident en toute connaissance de cause de leurs politiques culturelles et sociales ; l’aide de l’État est appréciée, bienvenue, mais elle n’entre pas de façon décisive dans la décision, notamment quand il s’agit de recruter du personnel (la plus grande difficulté en ce moment, y compris pour l’État).
Les conservateurs dans les BM
Le rapport de l’IGB consacre d’ailleurs une large part à la présence des conservateurs, territoriaux ou d’État dans les BM. On sait que le nombre de conservateurs territoriaux est encadré par un décret et un arrêté régulièrement mis à jour, autorisant une ville à recruter x conservateurs et à créer y postes de conservateurs en chef (toujours les quotas !) selon divers critères dont la population et l’activité de la BM.
Dans 54 villes, dont les BM sont « classées » au sens de la loi de 1931, l’État met à disposition un ou plusieurs conservateurs. Nombre de postes sont vacants. La situation de ces personnels semble difficile à l’Inspection : sous la responsabilité directe du maire, le conservateur aspire à une forte intégration dans la vie de la collectivité. L’État laisse d’ailleurs de plus en plus une grande liberté de recrutement, de choix à la collectivité. Parfois, néanmoins, les relations peuvent être tendues : certains conservateurs, selon l’IGB, seraient tentés d’opposer leur « légitimité » aux demandes du maire. Situation grosse de conflits.
En 1989, le rapport Béghain 2 – du nom du président de la commission de travail diligentée par la Direction du livre pour étudier les évolutions des BM à l’heure de la décentralisation – avait souhaité une clarification de la situation : rien n’a été décidé ou éclairci statutairement, ce qui laisse les conservateurs dans une situation « réglementaire » floue. Il faudrait y remédier. J’ajouterai – ce n’est qu’un avis personnel et ce n’est pas dans le rapport – que la loi sur les musées récemment adoptée (2001) pourrait laisser entrevoir des évolutions pour les bibliothèques.
Le rapport procède également à l’analyse de la situation des bibliothèques départementales de prêt (BDP) : globalement, la situation d’après décentralisation semble être plutôt meilleure que celle qui aurait pu être observée dans une situation législative inchangée. L’étude s’intéresse aux aides croisées, concours particulier, aides des départements,…
Hypothèses pour de nouvelles mesures
Le plus novateur, me semble-t-il, est la partie : « Nouvelles mesures : hypothèses ». Constatation partagée : l’aide de l’État en fonctionnement est faible et s’affaiblit. Le Comité des finances locales (CFL) l’a remarqué en 1991 (et même dès 1988 !) pour demander une modification de la proportion entre 1re et 2e part (actuellement, 35/65 % de la totalité).
Certains élus se sont même fait l’écho de questions : l’État fixe des recommandations ambitieuses sur les surfaces – trop diront certains, la fameuse règle du 0,07 m2 par habitant – mais laisse ensuite les communes « se débrouiller » avec les frais de fonctionnement trop lourds, d’où des recrutements trop faibles en quantité, en qualification, des heures d’ouverture en diminution… Il faudrait augmenter la part du fonctionnement (1re part).
Le ministère de la Culture et de la Communication fait une autre analyse que nous sommes heureux de découvrir ici : puisque 3 % n’est rien, ne vaudrait-il pas mieux supprimer totalement la 1re part ? L’État doit-il continuer à rémunérer des personnels (conservateurs) dans certaines villes, alors que cela n’a plus les mêmes justifications qu’en 1931 ? Quelles sont les missions qui devraient être données à ces conservateurs, à supposer que l’État décide de les laisser en place, en tout cas en partie ?
On peut envisager des aides au fonctionnement sur d’autres critères plus définis, avec des objectifs « ciblés sur des critères traduisant des actions prioritaires ». De telles modifications laissent entière la question de la réaction des communes : une diminution de l’aide de l’État, même faible, ne risque-t-elle pas de se traduire par des diminutions des budgets de fonctionnement courant et d’accroître encore le malaise ?
Je vous laisse découvrir la suite, l’hypothèse que les régions pourraient être plus présentes dans ce secteur (la loi de décentralisation adoptée par ordonnance cet été ne laisse que peu d’espoir, me semble-t-il, sur cette idée).
En un mot, on ne saurait se priver de la lecture, complète, attentive, crayon et carnet de notes en main, de ce rapport 2003 de l’Inspection générale des bibliothèques.