Où va le livre en Afrique ?
La revue trimestrielle Africultures 1 présente toujours une partie dossier et des chroniques d’actualité. La livraison de la fin d’année 2003 est consacrée au livre francophone en Afrique francophone (19 pays concernés) : on pourrait dire « le livre dans tous ses états ».
Car le dossier proposé et préparé par Isabelle Bourgueil a le mérite, en 150 pages, d’ouvrir à peu près toutes les entrées des politiques nationales et de coopération internationale du livre, livre de lecture et livre scolaire, des questions concernant la « chaîne du livre » (édition, librairies, bibliothèques, lecteurs, auteurs), des questions sur le droit d’auteur et le copyright… En un mot, le dossier le plus complet certainement sur le sujet depuis bien longtemps. Il faut dire que la rédactrice en chef assure les fonctions de directrice de la structure Afrilivres 2 qui a pour ambition de représenter le livre africain francophone, d’assurer sa diffusion et sa connaissance dans le monde. Elle a pu ainsi contacter les plumes les plus compétentes, avoir accès à de nombreuses statistiques fort peu connues. Je ne peux qu’encourager tous ceux que le livre en Afrique intéresse à se procurer ce document et à le lire avec toute l’attention qu’il mérite.
Cette note de lecture tentera modestement de mettre en valeur quelques points, mais ne sera pas – vu l’ampleur du dossier – une recension exhaustive de tous les articles, regroupés en 6 sections : « Éditeurs et lecteurs », « Le livre scolaire », « Le livre de jeunesse », « Éditer en langues nationales », « Éditer la littérature », « Alternatives », et confiés à plus de 50 contributeurs.
Des chiffres éloquents
Quelques chiffres peuvent nous donner une idée du problème : 90 % des livres vendus en Afrique francophone sont importés (France et Canada majoritairement). On recense 50 éditeurs professionnels (adhérents à Afrilivres) dans 14 pays : la Côte-d’Ivoire et le Sénégal sont les plus riches en ce domaine. Les titres disponibles, édités en Afrique, étaient, fin 2003, au nombre de 1 167.
Les professionnels du livre sont très peu nombreux et peu professionnalisés : environ 75 librairies, auxquelles il faut ajouter les « librairies au poteau », comme on dit au Cameroun, livres étalés par terre sur les marchés, évidemment non dénombrables, mais non négligeables en termes de circulation des documents. Ces librairies sont majoritairement installées dans les capitales et grandes villes et se consacrent au scolaire pour la très forte majorité de leurs ventes.
La rédactrice dénombre 635 bibliothèques et centres de documentation (il faudrait en avoir une définition plus précise) où seraient employées quelque mille personnes, bénévoles et salariés.
Ces chiffres suffisent à donner une idée de l’ampleur du retard, de la pénurie dans laquelle les Africains se trouvent envers la culture écrite.
Ajoutons que le papier est rare, cher quand il est de qualité suffisante, que les États ont instauré des droits et taxes très importants sur le papier, le travail et les importations : de sorte que le livre, produit fini, est très cher, et, quand on le compare au niveau de vie moyen, inaccessible pour la majorité des habitants.
Enfin, des données échappent à toute statistique : la « chaîne du don ». On sait, en France, par des ONG diverses, que des tonnes de livres partent en Afrique, plus ou moins triés, par l’intermédiaire de « banques de livres » – c’est le cas le plus favorable, car ils sont triés –, mais aussi par des associations, des missions. Ils aboutissent parfois dans des bibliothèques, parfois dans des garages, parfois même « au poteau ». Cette donnée est importante, mais non mesurable.
Quelles politiques du livre en Afrique ?
Y a-t-il une (des) politique(s) du livre, du développement de la lecture dans ces pays africains ? Globalement, les articles, avec l’exemple de nombre de pays, répondent : non. Même quand il y a un petit affichage, la réalité est tout autre : taxes dissuasives, impossibilité d’avoir des budgets de fonctionnement (en dehors des émoluments du personnel, qui se retrouve certes payé, mais à ne rien faire de cohérent ou d’efficace).
L’exemple du Congo, détaillé par notre collègue Christophe Cassiau-Haurie, est édifiant. Une mesure, dite taxe Mobutu, casse tout développement de l’économie du livre : le dépôt légal des documents est payant. Des taxes de toutes sortes existent sur le papier, le transport. Une société de répartition des droits d’auteur, la Soneca, a été étatisée et ne sert plus vraiment à l’objet de sa création… Tableau bien sombre.
Et pourtant, il y a auprès de ces gouvernements des assistances « lourdes » extérieures : de la part de la France, qui entretient un réseau d’assistants techniques, d’appui à la filière livre, et du Canada, très présent également, surtout par l’intermédiaire d’ONG.
Isabelle Bourgueil, qui s’est réservé cette partie très politique du dossier, ne pratique pas la langue de bois. En substance, l’aide internationale aux filières livre, pour elle, – elle en donne de nombreux exemples et tableaux chiffrés – est non une assistance mais une façon de favoriser la mainmise d’éditeurs étrangers sur l’édition qui marche : prise de capital majoritaire, réécriture des manuels faits sur place… Pour elle, la coopération dans le domaine du livre est d’abord une façon de vendre des livres à l’Afrique (je simplifie volontairement, mais son propos est proche de cette assertion).
Le dossier rentre dans le détail de l’édition la plus importante : le livre scolaire. Là aussi, il faut prendre en compte les politiques des gouvernements envers l’éducation, privée/publique, payante/gratuite… Quand les livres sont gratuits, il y en a peu, sur deux ou trois matières au maximum, avec de grandes difficultés à rendre cohérents le « programme d’enseignement » et les livres. De plus, pour abaisser les coûts de fabrication et parce que certains pays ne peuvent avoir leur filière complète, il y a des coéditions entre deux ou trois pays proches. Dans ces cas évidemment, les livres ne peuvent être strictement adaptés à chaque programme !
La question de l’édition du livre de jeunesse est longuement évoquée avec des auteurs et des illustrateurs. Le droit d’auteur et son application sont abordés par le spécialiste français Emmanuel Pierrat : souvent créé par application-copie du droit français, il peine à être appliqué, les contrats à être rédigés et suivis. L’acte de Paris qui autoriserait les pays à user, sans paiement de droits, des textes d’origine nationale est peu connu et donc rarement appliqué.
Un ouvrage très riche d’enseignements, pour notre réflexion, notre compréhension des difficultés que peuvent avoir les Africains d’origine à entrer dans le monde du livre, mais qui doit aussi nous alerter lorsque nous sommes invités à faire des dons de livres.