Lecture à l'université

langue maternelle, seconde et étrangère

par Guy Hazzan
Jean-Pascal Simon et Francis Grossmann éd. Berne : P. Lang, cop. 2004. – VII-288 p. ; 21 cm. – (Exploration, Recherches en sciences de l’éducation). ISBN 3-906770-42-7 : 45,10 €

Les deux éditeurs scientifiques, Jean-Pascal Simon, maître de conférences en sciences du langage à l’IUFM de l’académie de Grenoble, et Francis Grossmann, professeur de sémantique et didactique du français à l’Université de Grenoble, affirment que la didactique de l’enseignement supérieur est actuellement en plein essor.

La lecture à l’université leur est apparue comme un champ de réflexion et d’étude démesuré, aussi proposent-ils d’interroger quelques-unes des fonctions de la lecture à l’université, d’évaluer certaines difficultés rencontrées par les étudiants face aux textes dont l’institution universitaire prescrit la lecture, enfin quelques pistes pour améliorer les compétences de lecture. Ils ont accordé une importance particulière aux liens entre L1 (lecture maternelle) et L2 (lecture étrangère), car, de plus en plus, la lecture au sein de l’université s’effectue en plusieurs langues. Ils ont voulu mettre en relation des chercheurs en didactique des langues maternelles et secondes, des linguistes, des psychologues et des sociologues qui s’intéressent à la lecture étudiante. Tous ces objectifs ont donné lieu à dix-neuf contributions présentées en cinq parties dont il est impossible de rendre compte intégralement. Aussi avons-nous retenu quelques points forts et l’énoncé des différentes parties pour une meilleure appréciation du contenu.

Transformation des manières de lire

La lecture, dont nous savons qu’elle est un des facteurs de la réussite des étudiants et leur outil ordinaire, doit être approchée de façon différenciée : distinguer la lecture d’une œuvre littéraire d’une lecture d’un texte spécialisé ; évaluer la proximité entre la lecture en langue maternelle et la lecture en langue étrangère.

Dans l’article de cadrage « Matrices socialisatrices scolaires, lectures étudiantes et redéfinition de la figure dominante de l’homme cultivé », Bernard Lahire rappelle que c’est également une pratique socialement différenciée. En effet, après la démocratisation, l’université s’est ouverte à des étudiants qui ne sont plus des « héritiers » : dès lors lecture, prise de notes, fréquentation des bibliothèques, manière de suivre un cours et d’en tirer profit ne sont plus évidentes. La montée de la culture scientifico-technique a modifié le rapport à la culture « légitime », la valeur de la lecture et des livres. Les lectures sont autres : documentaires, informatives et plus courtes. « Compétences littéraires et artistiques, compétences scientifiques et techniques ou compétences bureaucratiques ? Voilà des questions politiques historiquement cruciales que pose au fond la transformation des définitions de la lecture et des manières de lire » (p. 24).

Si l’université veut transmettre un savoir vivant en train de se construire, il faut prendre la lecture au sérieux. L’institution universitaire est ainsi invitée non pas seulement à savoir ce qui est lu mais « comment est lu ce que l’on donne à lire », à se demander quelle place occupe le texte dans la médiation des savoirs : un objet d’analyse (en lettres), un corpus relevant de la culture disciplinaire (en histoire ou sciences du langage), un instrument (pour l’apprentissage d’une langue). En sciences humaines, ces trois fonctions sont complémentaires.

Devenir un sujet lecteur

Dans la première partie, « Lire en langue maternelle », on se demande comment aider les étudiants. Entre autres propositions, on est invité à prendre en considération les différents contextes de la communication universitaire et la spécificité discursive de chaque domaine disciplinaire. À travers les mémoires, se pose la question des bibliographies (présence, présentation, importance), celle de la prise de notes et du travail effectué à partir de celles-ci. La question est clairement établie : pourquoi et en fonction de quoi lit-on ? Et quels sont les modes d’appropriation de ce qui est lu, car il faut amener l’étudiant à être un « sujet lecteur » capable de choisir ses sources, de les présenter efficacement et de les inclure dans un projet. L’évaluation devra alors porter non seulement sur les connaissances acquises mais encore sur les capacités d’appropriation.

Dans le contexte européen où il est nécessaire de lire plusieurs langues étrangères, la deuxième partie, « Stratégies et transferts L1/L2 », à travers deux contributions, s’intéresse au passage de l’une aux autres et se demande comment mobiliser les compétences de la langue maternelle et si nos capacités de lecteur permettent de compenser nos insuffisances linguistiques.

La troisième partie, « Médiation phonologique », relève l’importance de la conscience phonologique dans le processus de lecture. Pour la lecture des langues étrangères, proximité ou différence radicale entre L1 et L2, quelle distance faut-il privilégier ?

Dans la quatrième partie, « Aspects textuels et énonciatifs », concernant l’accès aux langues étrangères, il est proposé une « pédagogie de la lecture-compréhension de textes en langue étrangère centrée sur la relation du lecteur au(x) texte(s) » et sur diverses stratégies d’accès au sens.

Stratégies d’enseignement

Dans la cinquième et dernière partie, très riche, « Stratégies d’enseignement et d’apprentissage », sont envisagés tout à la fois les aspects pragmatiques, cognitifs, linguistiques et affectifs et la problématique du passage, c’est-à-dire la façon dont l’institution universitaire se donne à lire.

Bien lire c’est « s’impliquer », « s’appliquer », « s’expliquer », c’est aussi se « familiariser » avec un « univers culturel », un « code universitaire » et les « pratiques de lecture » à l’université (Marie-Jo Berchoud). L’accompagnement, c’est-à-dire l’encadrement, peut être envisagé. Des moyens d’accès à la lecture de textes spécialisés en L2 particulièrement féconds sont proposés dans la contribution de Catherine Resche : « La terminologie au service de la lecture en langue étrangère de spécialité ». Cet auteur cite Wallace (1993) : « We learn new words and meanings largely through reading ; we do not learn words in order to read » (p. 76).

Si une part importante a effectivement été accordée à l’investigation des liens entre L1 et L2, la qualité des expérimentations proposées alimente utilement la réflexion pour la lecture maternelle et étrangère. Ces nombreuses contributions, pour certaines très spécialisées, sont particulièrement stimulantes et pertinentes, car il ne s’agit pas seulement pour l’université et ses composantes, y compris les bibliothèques universitaires, d’offrir des textes à lire mais encore de s’interroger sur l’usage qui en est fait et sur les modalités. Ancrées dans des expérimentations précises et d’une grande pertinence, elles répondent à l’une des questions inventoriées en conclusion par Emmanuel Fraisse dans Les étudiants et la lecture (1993) et qui se demandait : « Faut-il apprendre à lire aux étudiants ? Formulation provocatrice, polémique mais tout compte fait riche de sens. » Le développement de la didactique dans l’enseignement supérieur semble l’affirmer ; cet ouvrage nous en indique le sens et les pratiques. Les problématiques et les méthodologies développées ici sont d’une remarquable fécondité et nous intéressent au premier chef.