Les pratiques de lecture des adolescents québécois
C’est à un groupe de didacticiennes québécoises, dirigé par Monique Lebrun, professeur au Département de linguistique et de didactique des langues à l’Université du Québec, que l’on doit cet ouvrage. Il expose les résultats d’une enquête menée auprès de 1 737 élèves des quatre premières années d’enseignement secondaire, ainsi que d’une partie de leurs enseignants, parents, bibliothécaires. Enquête fondée sur de longs questionnaires remplis par les élèves, de milieux sociaux variés, dont les professeurs ont accepté de travailler avec ces didacticiennes, complétée de discussions dans des groupes constitués d’élèves volontaires, les uns intéressés par la lecture, les autres récalcitrants à cette pratique.
Un sentiment de familiarité
L’un des intérêts majeurs du livre tient au fait que les auteurs se réfèrent aussi, pour chaque thématique, à des travaux menés antérieurement au Canada, aux États-Unis ou en France, et que l’on trouve là une occasion de découvrir de nombreuses recherches peu connues de ce côté de l’Atlantique. L’ouvrage foisonne donc de données et l’on se perd parfois un peu parmi les chiffres et tableaux multipliés au fil des chapitres, portant sur les habitudes de lecture, les choix de livres, la lecture de plaisir, la lecture scolaire, la lecture à l’écran, les bibliothèques scolaires et publiques, le point de vue des enseignants et des bibliothécaires, celui des parents, les différents profils d’adolescents lecteurs.
Que l’on n’attende pas de ces travaux, toutefois, de grandes surprises, des révélations ou des recettes insolites : c’est plutôt un sentiment de familiarité que l’on éprouve. Au Québec comme en France, la lecture est transmission et appropriation : les adolescents qui lisent régulièrement vivent plus souvent dans des familles où l’on échange autour des livres, mais les événements ayant fait naître leur goût dans l’enfance « tournent autour de la lecture en cachette, sous les draps, la nuit tombée ». Le temps consacré à la lecture de loisir fléchit tout autant au fil des années (le tournant se situant, au Québec, à 12-13 ans), du fait du poids accru du travail scolaire et du goût pour la sociabilité et les loisirs à l’extérieur.
On se préoccupe de l’écart entre filles et garçons, qui se cachent pour lire ou rejettent les livres – et décrochent, pour une partie d’entre eux, de l’école. Les élèves des deux rives ont une même aversion pour fiches et évaluations, tandis que le club de lecture les séduit. Ils sont très sensibles aux contradictions des adultes dont les pratiques ne s’accordent pas toujours aux discours sur l’importance de la lecture.
Les bibliothèques scolaires sont désuètes et sous-équipées ; l’embauche de personnel dans les bibliothèques est insuffisante (alors même que l’approche personnalisée est reconnue comme l’un des meilleurs moyens d’inculquer le goût de lire et de l’entretenir). Etc.
Là-bas comme ici, on relèvera donc, selon son tempérament, des indicateurs préoccupants (parmi les enquêtés, 64 % des filles, 74 % des garçons consacrent moins de deux heures par semaine à la lecture de loisir) ou réconfortants (70 % des filles et 55 % des garçons aiment lire le soir ; et même les plus récalcitrants, qui cherchent à éviter ce qui les met en difficulté, demeurent en contact avec l’écrit et la lecture de plaisir).
Internet, première source d’information des jeunes
La principale différence tient au fait qu’au Québec, Internet est la première source d’information des jeunes, devançant nettement les bibliothèques. Mais ils sont là laissés à eux-mêmes. Les auteurs invitent donc les médiateurs à en baliser l’usage pour que les adolescents n’en restent pas au règne du fragment : « Recueillir et accumuler de l’information, ce n’est pas comprendre […] Le livre, pour sa part, se lit dans la continuité, dans la concentration, et contribue au développement d’une pensée structurante, tout en facilitant l’accès à une langue de qualité. »
Relevons au passage qu’Internet, médium relationnel, peut toutefois faciliter des échanges interindividuels avec des médiateurs : aux États-Unis, 46 % des college students (de 17 à 20 ans) disent que le courriel leur permet d’exprimer à leurs professeurs des idées qu’ils n’oseraient pas formuler en cours.
Plusieurs enquêtes nord-américaines mentionnées dans l’ouvrage font apparaître que le rendement scolaire en lecture et écriture serait directement lié à l’amour de la lecture, alors qu’en France, des chercheurs ont peut-être plus souvent attiré l’attention sur le fait que l’on pouvait être bon élève sans être lecteur, ou bon lecteur et mauvais élève… laissant dans l’ombre qu’un rapport positif entre les deux est quand même le plus fréquent.
Convaincues de l’importance de la lecture à plus d’un titre, mais confrontées aux apories de cette pratique à l’école, Monique Lebrun et ses collaboratrices plaident en définitive pour des pédagogies interactives, en rapport avec les préoccupations des adolescents, pour que place soit laissée aux différences individuelles dans les sélections de livres, pour un accompagnement plus attentif dans les temps difficiles des parcours… et, de façon réitérée, pour qu’une concertation plus étroite soit établie entre école et bibliothèques, les enseignants des matières scientifiques et artistiques étant particulièrement conviés à fréquenter ces équipements.
Toutes choses qui sont également souhaitables ici même.