Le livre et la presse de jeunesse dans une dimension internationale

Magali Turquin

Le samedi 15 mai 2004, à Charleville-Mézières, une journée d’études était organisée par le groupe de travail sur le livre et la presse de jeunesse du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC) de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, en partenariat avec le Centre international d’études en littérature de jeunesse, autour du thème : « Le livre et la presse de jeunesse dans une dimension internationale : quelles pistes de recherches ? ».

Panorama historique

Annie Renonciat (Université Paris VII) proposa un aperçu historique des dimensions internationales du livre pour la jeunesse. Sous l’Ancien Régime, la circulation des livres était déjà un phénomène remarquable. Ce fut le cas pour Orbis sensualium pictus, un texte bilingue de Comenius : on en recense plus de 240 éditions. Un autre exemple mérite d’être mentionné : Télémaque (1717) avec 80 traductions avant 1830.

Comment expliquer de tels chiffres ? Orbis sensualium pictus va rapidement servir de dictionnaire. Un autre facteur est à prendre en compte : le rayonnement de l’édition française. À la fin du XVIIIe siècle, la diffusion est possible grâce au maillage des librairies françaises. Mais, même si le livre français est présent à l’étranger, les auteurs français ne sont que faiblement représentés (de 11 à 13 %). En 1880, la majorité des romans sont l’œuvre d’auteurs anglais et américains. Cependant, certains éditeurs comme Hetzel se distinguent et proposent des traductions d’auteurs français comme Jules Verne.

Si les textes parviennent à circuler, qu’en est-il des concepts ? On se rend compte que lorsqu’un ouvrage est publié dans un pays étranger, l’éditeur s’adapte au pays d’accueil. Malheureusement, la tendance actuelle est différente car, s’il y a coédition, elle conduit systématiquement au gommage des particularismes nationaux dans l’image (village, scènes familières…). Le lecteur se retrouve donc dans un univers neutre et aseptisé.

Les centres de ressources sur le livre de jeunesse

Lucile Trunel (bibliothèque de la Joie par les livres) consacra son intervention à la recherche sur le livre et la presse étrangers pour la jeunesse en France. Elle constata que les lieux de conservation sont souvent dispersés et peu visibles. Les structures sont nombreuses, tout comme les supports, mais de nombreuses pistes demeurent inexplorées.

Qu’en est-il des fonds de conservation ? La Bibliothèque nationale de France, par exemple, conserve les livres français et étrangers destinés à la jeunesse, mais ce fonds n’est pas isolé des autres ouvrages. La Joie par les livres possède une collection de plus de 11 800 volumes en langues étrangères, mais il n’y a jamais eu d’inventaire.

D’autres espaces conservent les livres étrangers pour la jeunesse : bibliothèques, centres culturels français, Institut du monde arabe, librairies spécialisées (ressources non négligeables pour les nouveautés), centres de recherche des universités… Cependant, à ce jour, un seul centre permet aux chercheurs de consulter des thèses et des maîtrises consacrées à la littérature de jeunesse : l’Institut international Charles Perrault.

Les revues spécialisées jouent un rôle important pour l’élaboration et la conservation d’articles de fond (La Revue des livres pour enfants, Citrouille, etc.). Les salons professionnels et les catalogues d’expositions permettent également de découvrir de nouvelles publications.

Livre de jeunesse et francophonie

Luc Battieuw, président de la section belge francophone de l’IBBY (International Board on Books for Young people), insista sur le fait qu’il n’y avait pas encore de centre de littérature de jeunesse en Wallonie, alors qu’il en existe un depuis vingt-cinq ans en Flandre. Il faut remonter à 1919 pour voir apparaître la première bibliothèque enfantine à Bruxelles, rappela-t-il : L’Heure joyeuse. Mais la véritable prise de conscience vit le jour au sortir de la Seconde Guerre mondiale grâce à Jeanne Cappe qui mit en place un Conseil de littérature de jeunesse et créa une revue critique, Littérature de jeunesse.

Pour sa part, Luc Pinhas a évoqué les problèmes rencontrés en Afrique noire francophone. La production africaine en français est d’environ 50 nouveautés par an et dispose de 820 titres. Elle reste, à bien des aspects, artisanale (au niveau du développement, de l’émancipation économique, du statut d’auteur) et il n’y a pas de politique dans le domaine du livre. Environ 70 maisons d’édition sont répertoriées comme Édilis, Couleur locale ou Ruisseaux d’Afrique qui publie le plus grand nombre de livres. Les éditions CLE ont également joué un rôle important et peuvent être considérées comme la première maison d’édition africaine.

On peut penser que l’Afrique doit se tourner vers la coédition (Nord/Sud), mais les éditeurs africains se sentent floués car ils n’ont pour rôle que celui de diffuser les ouvrages. Plus prometteuse est l’association d’éditeurs indépendants dans le courant de l’altermondialisation.

Traduire ou adapter ?

Dans leurs interventions, Françoise Levêque et Brigitte Évano ont évoqué l’histoire singulière de deux maisons d’édition complémentaires au sein du secteur éditorial jeunesse, mais qui ont eu une évolution et une politique d’auteurs bien différentes : Rageot et Nathan (avec la « Bibliothèque Internationale » d’Isabelle Jan).

Enfin, François Mathieu, traducteur littéraire et auteur, se pencha sur le problème de la traduction. Il donna quelques exemples d’ouvrages dont la traduction a nui à l’accueil en France. Ainsi Fifi Brindacier, qui avait rencontré un succès extraordinaire en Finlande, n’a que très peu plu en France pour la simple raison que la pertinence de l’œuvre avait été évacuée à la traduction. Autre exemple, Émile et les détectives qui, depuis 1931, n’a jamais été retraduit alors que la première traduction était très mauvaise.

Un autre domaine de la littérature de jeunesse a aussi subi les affres de la traduction : la bande dessinée qui, dans les années 1930, arrivait principalement d’Italie et des États-Unis. Thierry Crépin (CHCSC) a relevé de très nombreuses différences qui ont rendu bien souvent la BD incompréhensible au lecteur français des années 1930 à 1950 : le format des vignettes, une adaptation liée à la morale de l’époque qui différait grandement entre les États-Unis et la France, etc.

En conclusion, il apparaît qu’au niveau international, la France est en retard en ce qui concerne la visibilité des collections et des fonds pour la jeunesse. Pour les chercheurs, les conditions de travail restent très difficiles.