Les grandes bibliothèques aujourd'hui en Europe

L'exemple de Turin

Christian Massault

Le 26 avril 2004, Médiat Rhône-Alpes a organisé à la Cité scolaire internationale de Grenoble une journée d’étude en partenariat avec la direction régionale des affaires culturelles (Drac) Rhône-Alpes, la ville de Grenoble et l’Institut culturel italien de Grenoble 1. 90 professionnels se sont déplacés pour échanger avec les invités sur le thème de l’évolution des bibliothèques et de leurs services.

La biblioteca di tutti

Fiorenzo Alfieri, assesseur à la culture de la ville de Turin, présenta sa ville de deux millions d’habitants, capitale politique puis économique de l’Italie du Nord, dont les transformations nombreuses s’inscrivent dans un plan stratégique en six axes, dont la conception globale intègre les enjeux du tourisme, du commerce, des transports, du sport et surtout, en ce qui le concerne, de la culture.

Paolo Messina, directeur des bibliothèques de Turin, présenta ensuite le projet de « la biblioteca di tutti », au sein d’un centre culturel qui doit recevoir 5 000 visiteurs par jour. Sur une surface de 40 000 m2, ce complexe accueillera aussi une grande salle de théâtre, les bureaux d’instituts étrangers de culture, un restaurant et quelques commerces, un belvédère, une vaste terrasse panoramique avec théâtre en plein air, le tout situé dans une zone industrielle reconvertie, le long de l’axe central de la voie express qui traverse toute la ville, proche des stations de métro et des gares nationales et régionales.

S’appuyant sur le principe que les changements de pratiques du public imposent des changements de locaux, c’est une conception modulaire qui a prévalu, pour organiser les 19 000 m2 affectés aux services de lecture, un principe de complémentarité des horaires d’ouverture avec le calendrier des activités du centre, et une recherche de voisinage stratégique avec les centres culturels étrangers, pour une meilleure visibilité et un partage des ressources.

Paolo Messina souligna la flexibilité des agencements internes, pour s’adapter aux exigences futures, particulièrement pour les technologies et les matériaux. Il insista sur les questions d’accessibilité (physique et culturelle), avec ses conséquences sur les choix et les hauteurs de mobilier, avec comme objectif de peser, plus et mieux, dans la société de l’information. Les services doivent répondre aux exigences actuelles en termes de collections multimédias, d’approche interculturelle, en phase avec la mosaïque des populations, et de prise en compte des besoins de la formation continue.

Il précisa que ce type de projet, largement inspiré des expériences du réseau des bibliothèques dans le monde, est impensable sans un soutien fort du politique. Il affirma enfin que l’architecture doit fasciner sans impressionner, à l’instar de la Bibliothèque publique d’information, et que c’est avant tout la qualité du service qui attire les publics.

Il conclut avec quelques réflexions sur la préparation au changement en rapport avec les objectifs annoncés. L’amélioration des services existants, l’inscription des activités culturelles vont de pair avec une amélioration des procédures et services. Cette démarche impose d’associer les personnels à la réflexion et d’envisager pour eux une phase de formation, recyclage et requalification.

Les enjeux des équipements culturels du troisième millénaire

La table ronde de l’après-midi, avec une douzaine d’invités, fut l’occasion de s’interroger, en interaction avec la salle, sur les enjeux politiques, économiques et sociaux des « équipements culturels du troisième millénaire ».

À travers des exemples puisés dans les expériences aussi diverses que les médiathèques intégrées dans des centres culturels, les BMVR (bibliothèques municipales à vocation régionale), les réseaux d’agglomération ou les services communs de documentation de l’université, se dégagent des constantes dans la manière de penser les services et d’intégrer les pratiques des publics :

– les nouveaux territoires de l’intercommunalité et la question de la compétence culturelle furent évoqués par Jean-Louis Biard, directeur des affaires culturelles de la communauté d’agglomération de Rennes ;

– la question de l’accueil et de la convivialité dans des médiathèques « lieux de vie » qui dépassent leurs fonctions documentaires traditionnelles (Thierry Delcourt, BMVR de Troyes) ;

– la mixité des pratiques qui font des bibliothèques publiques le service qui réalise, au plus près, les objectifs des maisons de la culture et de la démocratisation culturelle (Jean Guibal, Musée dauphinois) ;

– la nécessaire complémentarité des grands établissements et des réseaux de proximité qui impose de penser la proximité dans toutes ses dimensions, géographique, sociale, culturelle (Jérôme Safar, adjoint chargé de la culture à la ville de Grenoble) ;

– le préalable économique (emploi, logement, etc.) indispensable à tout développement culturel (Michel Orier, directeur du Cargo à Grenoble) ;

– la banalisation du rôle de la bibliothèque pour les accès aux ressources en ligne. Alain Caraco (Bibliothèque municipale de Chambéry) insista sur son rôle irremplaçable pour la lecture séquentielle de textes longs et sur ses fonctions de médiation inscrites comme missions pérennes. Cependant il regretta que les bibliothèques soient trop centrées sur les collections et pas assez sur les usagers, que les horaires d’ouverture soient insuffisants ;

– l’affirmation du rôle et des missions sociales de la bibliothèque. Catherine Pouyet (Bibliothèque municipale de Grenoble) mit l’accent sur l’articulation entre site central et services de secteurs et de quartiers et sur le réseau comme lieu de débat dans la cité ;

– l’élargissement des missions de bibliothèques universitaires et spécialisées. Frédéric Saby (SICD Grenoble II) souligna le rapprochement des pratiques professionnelles et des publics avec les missions culturelles des bibliothèques publiques.

En témoin de la journée avec sa « grille d’écoute universitaire », Jean Caune, professeur à l’université Stendhal, proposa alors une synthèse en trois points : autour de la question du changement ; sur le nécessaire rapport entre le support de l’activité et le sens de l’action ; sur le dépassement des frontières anciennes, celles de l’œuvre comme celles de la cité.

Il conclut, enfin, avec l’impératif de substituer aux logiques de programmes les logiques de projets.