Valeur, utilité et rendement des bibliothèques

Le 35e congrès de la CBPQ

Cécile Lointier

Le 35e congrès de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ) s’est tenu en mai dernier à Montréal 1. Il portait cette année sur la valeur des bibliothèques pour la société et sur l’évaluation de l’efficacité de leurs services.

Nouveaux défis dans le monde de l’édition

La journée de pré-congrès fut consacrée aux changements induits par les technologies de l’information sur la diffusion et l’accès à l’information et sur les nouveaux modèles d’édition. Ainsi, les problèmes découlant des abonnements aux revues scientifiques ont été abordés par Lucie Molgat de l’Institut canadien de l’information scientifique et technique. L’édition scientifique, technique et médicale a connu une révolution avec la publication numérique, les métadonnées et les hyperliens et, aujourd’hui, le défi premier est l’accès à l’information. Lucie Molgat a identifié trois modèles émergents d’édition gratuite.

Tout d’abord, dans la mouvance du mouvement du libre accès sur Internet, la coalition Sparc 2 et le projet PLoS 3 proposent une diffusion gratuite et transparente de la littérature scientifique. Ensuite, dans un autre modèle, l’auteur ou son université paient pour la publication électronique (exemple : BioMed Central) 4. Enfin, il existe les dépôts institutionnels (e-print), comme au Massachusetts Institute ot Technology 5.

L’oratrice a conclu sa présentation en proposant quelques pistes pour relever tous les défis posés aux professionnels de l’information et aux bibliothèques : sensibilisation de la clientèle ; importance du développement professionnel des bibliothécaires ; besoin de s’allier pour archiver et conserver le droit à l’accès à l’information. D’où la nécessité d’un front commun pour les bibliothèques.

Les consortiums d’achats peuvent être une des réponses possibles. Ainsi, deux conférencières nous ont parlé de consortiums d’achats québécois : le consortium de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (Crepuq) 6, qui regroupe les dix-huit bibliothèques universitaires québécoises, et le consortium d’achats des bibliothèques publiques québécoises, qui est en train de se constituer. Mireille Janeau, de la Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal, a relevé que les consortiums permettent d’avoir un meilleur contrôle des coûts avec le blocage de l’inflation des prix et de meilleures conditions d’accès aux revues. Ils augmentent le pouvoir de négociation face aux éditeurs. S’ils ne coûtent pas vraiment moins cher, ils permettent toutefois d’aller chercher plus d’abonnements. Dans les années à venir, les consortiums vont devoir se pencher sur la sécurité de l’archivage à long terme et sur les initiatives d’accès libre, comme l’Open Access Initiative 7.

Ensuite, nous avons pu découvrir des projets et modèles d’édition développés au Québec. Ainsi, Guylaine Beaudry de l’Université de Montréal nous a présenté Érudit.org 8, qui héberge une cinquantaine de revues québécoises francophones en sciences humaines et sociales. Érudit.org propose un espace de diffusion en réseau et travaille à la définition de normes. Le CNRS projette d’y donner accès à ses revues. Dans un contexte de rentabilité et de monopole de l’édition, les sciences humaines et sociales connaissent de plus grandes difficultés que les sciences pures. Yves Gingras, du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (Cirst), note de plus qu’il y a une résistance dans ce secteur pour abandonner l’édition imprimée au profit du numérique.

Bibliothèque virtuelle

Sylvie Belzile, du Service des bibliothèques de l’Université de Sherbrooke, a exposé le projet de Bibliothèque de recherche virtuelle du Québec (BRVQ). Ce projet interuniversitaire, chapeauté par la Crepuq, veut offrir un ensemble d’outils et de services à la communauté universitaire pour exploiter les ressources documentaires en ligne. Le plan de travail prévoit plusieurs services : le soutien aux usagers, la recherche fédérée et relayée, l’accès et la livraison de documents, l’édition et la diffusion (de thèses par exemple). L’architecture technologique choisie doit permettre le travail « collaboratif », fédéré et unifié. Actuellement, le premier jalon vers la BRVQ est l’implantation d’un logiciel commun de prêt entre les bibliothèques universitaires québécoises.

Évaluation et rendement

Plusieurs conférences ont traité de l’évaluation et du rendement des bibliothèques. Daniel Boivin de OCLC Canada a commenté une étude de marché mondiale des bibliothèques, parue en 2003 9. Cinq domaines ont été étudiés : société, économie, recherche et apprentissage, technologie et bibliothèques. Cette étude a relevé entre autres choses que les bibliothèques ne sont pas adaptées à la nouvelle génération d’usagers qui a d’autres habitudes de travail (multitâches) et de recherche (Internet en premier). Elle a identifié trois modèles dominants : la réduction de l’accès guidé au contenu, la désagrégation du contenu et des services (unités plus petites qui interagissent, micro-contenu) et la collaboration.

Dans un même ordre d’idées, Alain Bourque, de la Bibliothèque des sciences humaines et sociales de l’Université Laval, nous a présenté le projet LibQUAL+ 10 de l’Association of Research Libraries et son implantation dans sa bibliothèque. LibQUAL+ propose des outils pour évaluer le niveau de satisfaction des usagers et la qualité des services reçus, le tout par le biais d’un questionnaire. Il doit permettre de développer une culture de l’excellence dans la bibliothèque, de comprendre la perception de l’usager, de colliger et d’interpréter de façon systématique les données recueillies, de comparer les bibliothèques entre elles, de repérer les pratiques à privilégier et d’améliorer la capacité d’analyse du personnel. Au printemps 2003, quatre cents bibliothèques dans le monde participaient à LibQUAL+.

Cet atelier s’est achevé par les présentations du projet d’évaluation du rendement du réseau des bibliothèques publiques de Montréal et du langage du retour sur investissement appliqué au centre de documentation de Forintek Canada Corp.

Transferts de connaissances, de savoirs et de savoir-faire

Enfin, un autre grand thème abordé durant le congrès fut le transfert de connaissances entre les générations. Jean-Michel Viola, du Centre francophone d’informatisation des organisations (Cefrio) 11 et coordinateur du projet Le transfert intergénérationnel des savoirs, a expliqué les problèmes qui vont se poser avec le ralentissement de la croissance démographique, la baisse de la population active et le départ massif à la retraite des baby-boomers. Au Québec, l’impact risque d’être extrêmement important pour les organisations (en 2005, 342 000 postes à combler pour une population de 8,1 millions d’habitants). Le risque de perte du savoir et du savoir-faire des employés est important, de même que la difficulté de trouver une main-d’œuvre compétente. Le projet du Cefrio vise à trouver des solutions pour gérer le transfert des savoirs entre générations, avec, dans un premier temps, la cartographie des connaissances pour repérer les connaissances critiques pour les organisations et, dans un deuxième temps, la définition de stratégies pour le transfert (apprentissage à distance, récits d’apprentissage, mentorat, etc.).

En effet, pour éviter la perte de savoir-faire, le mentorat est une solution intéressante. Une table ronde a présenté des expériences réussies à la Bibliothèque des sciences humaines et sociales de l’Université Laval. Cette conférence a abordé les qualités nécessaires à un bon mentor : la crédibilité, la disponibilité, l’accessibilité et la maturité. Pour sa part, le « mentoré » doit montrer un intérêt à apprendre et à évoluer, avoir des besoins et des attentes clairement exprimés, une bonne capacité d’introspection, de la rétroaction et une capacité de remise en question. Le mentorat est une activité à long terme où une relation de confiance doit s’installer. Les avantages du mentorat sont, entre autres, de permettre au nouvel employé un contact privilégié avec la culture organisationnelle de la bibliothèque et un accès aux connaissances tacites et non écrites.

En conclusion, ce congrès a donné lieu à des rencontres intéressantes et instructives ainsi qu’à des discussions enrichissantes. Les initiatives pour faciliter le transfert des savoirs tacites et des savoir-faire dans le contexte des futurs départs massifs à la retraite nous ont semblé une voie importante à explorer.