L'art en bibliothèque
Odile Belkeddar
Le 4e festival « Le livre et l’art » s’est tenu du 2 au 6 juin 2004 à Nantes, plus précisément au Lieu unique 1, nouvelle appellation de l’ancienne biscuiterie Lu en bord de rivière et à quelques pas de la gare. Saluons d’abord la volonté de ce festival de s’intéresser à un domaine du livre qui ne semble pas prioritairement plébiscité par le public ni par les bibliothèques, hormis les secteurs jeunesse. En partenariat avec le Mai du livre d’art, et donc avec le Syndicat national de l’édition (SNE), cette manifestation est soutenue par la ville de Nantes et le Centre national du livre et s’appuie sur le réseau des librairies Complices de Nantes, avec la participation de la librairie parisienne Florence Loewy.
Le programme offrait l’accès à une impressionnante « très grande librairie » de 15 000 titres mis en espace de façon thématique par de jeunes architectes nantais, à des rencontres avec des artistes, critiques, éditeurs, à des concerts, des vidéos, des lectures d’artistes et, pour la première fois, proposait une journée professionnelle ainsi qu’un prix.
La journée professionnelle de formation pour les bibliothécaires était organisée le 3 juin en partenariat avec la Bibliothèque municipale de Nantes. Deux menus étaient proposés : l’édition d’art pour la jeunesse et l’édition d’art pour adultes, sous forme d’ateliers regroupant chacun trois interventions. Devant l’impossibilité d’assister à toutes les conférences, chacun les sélectionna selon ses priorités personnelles.
Revues et collections en avant-première
Il fut motivant de découvrir en avant-première les maquettes de nouvelles publications, comme celle de 9 de cœur, revue trimestrielle de création et d’initiation à l’art, ayant l’ambition de traverser tous les champs de la culture à partir de thèmes tels que « art et musique » (thématique du premier numéro à paraître à la rentrée 2004 au Seuil). Un prochain numéro aura pour thématique « art et livre ». Cette belle revue de grand format a été créée par les fondateurs en 1991 de la revue Dada chez Mango, Héliane Bernard et Alexandre Faure, partis avec toute leur équipe en juillet 2003, aussitôt connu leur rachat par le groupe Média Participation (groupe ayant déjà voulu racheter Editis) à travers les éditions Fleurus.
Parmi les nouvelles collections, Marie Rouhète, responsable éditoriale au Centre national de documentation pédagogique 2, a présenté « L’art pour guide », collection conçue dans le cadre du plan Les arts à l’école, en coédition avec Gallimard-Giboulée, devant le constat qu’il n’y a pas d’enseignement d’histoire de l’art à l’école. Il s’agit, à travers les ressources locales et régionales de chaque académie, d’entrer dans l’histoire de l’art de façon innovante puisque, pour chaque livre, tous les courants majeurs sont présentés dans une chronologie allant de la préhistoire à nos jours. À terme, « L’art pour guide » constituera une encyclopédie de l’histoire de l’art en France (30 titres prévus) avec, en complément, un titre sur Rome et un autre sur Londres. À noter que cette collection se veut tous publics et non « scolaire ». La maquette est particulièrement dynamique : rabats couvrants, « truffes » intercalaires permettant de jouer sur la surprise, calques, doubles pages spiralées suscitent constamment la curiosité. Un comité d’adolescents l’a relue et certaines de leurs remarques, expressives, ont même été insérées. À guetter dès novembre.
Le mystère de la transformation de l’illustration en livre
Le mystère de la transformation de l’illustration en livre fut approché par les éditions MeMo 3 qui éditent depuis 1993 des livres pour les enfants et d’autres pour les adultes en privilégiant la narration. À travers la présentation de la réédition en cours de l’introuvable et surréaliste Cœur de pic de Lise Deharme illustré par Claude Cahun, Christine Morault a abordé le questionnement sur les livres d’artistes et livres d’art, en faisant le choix d’un tirage à 1 000 exemplaires pour 1 000 lecteurs plutôt que 50 pour des collectionneurs. Parmi les livres récents de son catalogue (50 titres), Marché Gobelin de Christina Georgina Rossetti, classique de la littérature anglaise jamais traduit en français jusqu’ici. Qualité de l’œuvre, qualité de l’impression, qualité de la traduction : vive les éditions MeMo !
Un atelier sur les pratiques et animations autour du livre d’art a permis de mieux connaître l’organisation de l’artothèque au sein du département Arts-cinéma de la Médiathèque de La Roche-sur-Yon créée par Catherine Gouezigoux-Page et développée après son départ pour Saintes par Jean-Michel Le Bohec. Les œuvres sont en prêt gratuit, une seule et simple condition requise pour l’emprunteur : informer son assureur personnel !
Constituer un fonds en art
Constituer un fonds suppose quelques outils que Nicole Picot, de la Direction des musées de France, a commentés sur la base du document (méthode, critères, bibliographie) concis et très clair qu’elle a diffusé, rappelant cependant que cela ne suffit pas et qu’il faut aussi soi-même fréquenter l’art, aller aux expositions, ajoutant de ne pas hésiter à prêter les livres d’artistes (ils sont conservés ailleurs), car l’important est de montrer, éventuellement dans un meuble conçu spécialement pour les livres d’artistes comme, par exemple, la Bibliothèque mobile de l’architecte Andrea Blum.
La rédactrice en chef de Critique d’art 4, Sylvie Mokhtari, a permis de mieux connaître cette revue bibliographique semestrielle sélective en art contemporain dont les notices sont signées par des spécialistes et auxquelles s’ajoutent des articles thématiques tels une histoire du dessin d’enfant et des portraits d’auteurs et d’artistes évoquant les livres qui ont marqué leur parcours. Seuls les livres « adultes » sont actuellement recensés, mais il est possible que les livres jeunesse y entrent également.
En introduction à cette journée, Mijo Thomas, présidente du groupe des éditeurs d’art au SNE 5, a fait part de l’inquiétude des éditeurs face aux difficultés à obtenir une image et donc à illustrer les livres d’art (dont se fait écho Carré d’art, la lettre du groupe Art du SNE dans son no 4 de 2004). Ajoutons que les actuels rachats par de grands groupes financiers laissent à penser que la production à venir en sera inévitablement marquée. Est-ce que ceux qu’on appelle « petits » éditeurs y seront enfin gagnants ? Et en particulier ceux qui s’intéressent à la jeunesse, reconnus pour leur innovation et le temps qu’ils consacrent à la conception de leurs livres. À noter que, parmi la sélection du prix du festival 6, un livre jeunesse a été retenu, L’art par 4 chemins de Sophie Curtil et Milos Cvach (éditions Milan), démontrant que certains livres sont tous publics « à l’âge que vous voulez avoir » 7.