Le rôle de l'illustration dans l'initiation à l'art
Marie-Laure Faliero
La réflexion sur l’album pour la jeunesse dans sa relation avec l’art émerge depuis plusieurs années, grâce à des bibliothécaires qui aiment l’art contemporain et qui n’hésitent pas à montrer dans les bibliothèques des livres d’artistes, faits ou non pour les enfants.
Une journée d’étude sur le rôle de l’illustration dans l’initiation à l’art a été organisée par le Centre régional des lettres de Midi-Pyrénées, le 7 mai 2004, dans le cadre du Salon du livre de jeunesse de Montauban. Le public était nombreux, intéressé et passionné.
Le jeu des références
L’éditeur Christian Bruel, qui milite depuis des années pour qu’on reconnaisse l’album comme « un champ artistique autonome », nous démontra brillamment, à travers l’exemple d’Anthony Browne (Marcel le rêveur), comment les albums sont traversés par toutes les formes d’intericonicité : citations, parodies, réminiscences… Conscients ou non, les créateurs d’albums jouent avec les références, héritiers légitimes ou irrespectueux des peintres qui les ont précédés. Pour Christian Bruel, c’est une vraie jubilation que de pouvoir décrypter les images, mais, comme il le dit lui-même, cela nécessite « une certaine compétence du lecteur, dans un milieu facilitant ».
Les participants à la table ronde de l’après-midi se démarquèrent, au moins verbalement, de cette position hypercritique. Pour Béatrice Poncelet (Et la gelée, framboise ou cassis ?, Les cubes), dont l’œuvre est loin de baigner dans une intericonicité naïve, « le gamin ne sait pas que c’est un Giacometti, mais on s’en fout ». Elle n’a pas de message à faire passer, car chacun s’approprie l’album avec ce qu’il vit et jamais le lecteur ne doit s’apercevoir de la technique mise en jeu. Régis Lejonc (L’oiseau de vérité, Fait pour ça !), lui, laisse « une grande part d’appropriation au lecteur », essayant de se mettre à sa place, afin qu’il n’y ait pas de contresens sur l’interprétation. Anne Brouillard (Sept minutes et demie), plutôt que des citations précises, crée une lumière, une ambiance qui rappellent quelque chose. Aucun d’entre eux ne paraît aimer être mis à nu, ou instrumentalisé à des fins pédagogiques. Ils créent « simplement », pour un lecteur sans bagage.
L’album passeur d’art
Comment donc peut-on éveiller le sens esthétique d’un enfant, avec un objectif plus didactique ? Élisabeth Amzallag-Augé, directrice de la collection « Zigzart », après avoir dirigé « l’Art en jeu » (Éditions du Centre Pompidou), assume un rôle de médiateur, mais revendique dans la collection un parcours non contraignant, fondé sur l’observation. « L’enfant peut tisser des liens entre des œuvres très différentes. » Ainsi Bleu zinzolin et autres bleus fonctionne, avec beaucoup de finesse et d’intelligence, comme un guide de visite et de lecture des œuvres du musée du Centre Georges Pompidou et peut aider les adultes que nous sommes à surmonter notre perplexité devant l’art contemporain.
Directrice des Éditions du Rouergue, Danielle Dastugue fait des livres « qui permettent à l’enfant de devenir créateur ». Ces livres pour enfants ont eu beaucoup de succès auprès des libraires et des bibliothécaires. « Nous sommes dans une société d’agités », dit Danielle Dastugue. « Dans un album, l’image ne bouge pas, elle est disponible. L’album est encore un lieu de respiration, un espace de l’imaginaire. » L’image éduque l’œil sans avoir l’air de rien. Pas de vertu pédagogique, pas de volonté didactique.
Quelqu’un réagit dans la salle : « Ne pensez-vous pas que vous “sacralisez” l’œuvre d’art, qu’une fois de plus, l’art semble réservé à des privilégiés éduqués, ayant le moyen d’aller visiter des musées alors que nous nous efforçons de le mettre à la portée de tous ? » Pour Danielle Dastugue, les albums permettent justement aux enfants de s’approprier cet univers de création. Et il y a justement des bibliothèques où l’on peut trouver tous ces livres.
Et tant pis si les médiateurs n’ont pas un mode d’emploi. La clé pour ouvrir la boîte reste à inventer. Chacun a la sienne, elles ouvrent plusieurs portes. Et la plupart du temps, les enfants y arrivent bien tout seuls. Les clés sont peut-être tout simplement plaisir et liberté…