Editorial
Anne-Marie Bertrand
Patrimoine, patrimoines. A-t-on assez glosé sur l’amour récent et violent que les Français portent à leur patrimoine ! A-t-on assez écrit sur les dérives et les abus auxquels peuvent mener « l’émoi patrimonial » (Jean-Pierre Rioux), un « culte officiel du patrimoine historique » (Françoise Choay), « la manie commémorative » (Gilles Deleuze), la « patrimonialisation » de nos « lieux de mémoire », où tout, thermes romains, basiliques, lavoirs, châteaux de l’industrie, chalutiers, langues régionales, edelweiss, ours, transhumance, fabrication du beurre à la baratte, fermes, paysages, lunettes de Proust – et même manuscrits ou livres anciens –, tout ou « n’importe quoi » (Michel Melot) est ou peut être patrimoine !
Derrière cet arbre de l’enthousiasme, on peut, hélas et sans difficulté, distinguer la forêt de l’indifférence et de la déshérence. Le patrimoine écrit, combien de divisions ?
Les budgets, quelle enveloppe ? La formation, quelle durée ? Le personnel affecté, quelle proportion ? Les publics, quels profils, quels usages ? Les catalogues collectifs, quel accès ? Quel avenir pour les FRAB 1 et le CNSPBP 2 ? L’activité patrimoniale, les fonds patrimoniaux des bibliothèques ne semblent pas une priorité.
Certes, on a fait de grands progrès depuis l’époque pas si lointaine (les années 1970) où les fonds patrimoniaux étaient vécus comme un « handicap », un « poids » insupportable. Le rapport La Lecture publique en France notait encore, en 1972 : « Les bibliothèques municipales ont été victimes autant que bénéficiaires du prestigieux héritage qu’il leur incombait de conserver », héritage supposé obérer l’activité première et prioritaire des bibliothèques : l’accueil du public. Certes, il existe aujourd’hui un « corps de doctrine 3 ». Certes, on a aujourd’hui conscience de la richesse de ces collections, et de l’importance de les conserver et les transmettre dignement. Certes, on valorise aujourd’hui le patrimoine par le biais des collections numérisées ou lors du Mois du patrimoine. On nous présente même un Plan d’action pour le patrimoine écrit (Pape). Acceptons l’augure d’un nouvel intérêt, voire d’une nouvelle politique pour le patrimoine qui pourraient améliorer « la situation peu digne de la renommée internationale de la France au plan culturel » 4.