Bibliothèques numériques
Juliette Doury-Bonnet
Depuis deux ans, les rencontres du laboratoire Paragraphe de l’Université Paris VIII-Saint Denis sont un lieu d’échange sur les sciences de l’information et de la communication. Le 8 avril dernier, une journée d’étude sur le thème des bibliothèques numériques 1 a été organisée en collaboration avec la cellule Veille scientifique et technologique de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), la bibliothèque universitaire et le département Informatique pour tous de l’université.
Définitions
Salah Dalhoumi (Enssib) s’interrogea sur les définitions de la bibliothèque numérique/virtuelle/électronique/hybride et esquissa une typologie des sites web des bibliothèques. Selon lui, le web ne peut pas être considéré comme une immense bibliothèque, car s’il offre des documents numériques, il ne présente pas de garanties sur la source, la validation, la hiérarchisation, l’accès. De plus, il faudrait que les fonds numérisés s’inscrivent dans une politique documentaire cohérente. Ce n’est possible que dans un cadre institutionnel et professionnel. La bibliothèque numérique reprend les caractéristiques de la bibliothèque classique en les amplifiant et en les transformant, car l’hypertexte offre un dépassement des usages. Elle se définit par une organisation et une structuration spécifiques et par une logique patrimoniale. Elle appartient à un univers de réseaux sans centre ni périphérie dans lequel l’offre structure la demande. Elle donne la primauté à l’usager plutôt qu’au document.
État de l’offre éditoriale pour l’université
Ghislaine Chartron (INRP) fit le point sur l’état de l’offre éditoriale numérique pour l’université. Elle rappela que l’édition était un « processus de mise en forme d’un contenu préalablement sélectionné pour sa diffusion collective publique ». Sur la base d’exemples, elle souligna que la vitesse d’adaptation au numérique selon les disciplines renvoyait à la structure de l’édition traditionnelle dans chaque domaine. Ghislaine Chartron a identifié trois logiques qui s’affrontent selon que les contenus sont inscrits dans une économie marchande, sont financés par l’État dans une logique de bien public, ou s’inscrivent dans une économie de don, une logique d’échange.
Dans la première sphère, où l’offre francophone n’est encore qu’émergente, les points faibles sont l’étroitesse des marchés potentiels et les problèmes liés au droit d’auteur. Le numérique présente une grande traçabilité et est synonyme de tarification plus chère que le papier. Les points faibles de la deuxième sphère sont l’hétérogénéité, le manque de coordination, l’effectivité de la mutualisation et la pérennité des subventions. Les auteurs sont les acteurs centraux de la troisième sphère. Ils n’ont pas de revendications financières mais demandent le respect de la paternité des publications. Les points faibles sont l’absence de cadre éditorial, l’hétérogénéité et l’essoufflement.
Ghislaine Chartron a conclu son intervention sur les questions en débat : le statut des enseignants-fonctionnaires, le rôle de l’État dans l’édition de recherche, les liens entre bibliothèques numériques et enseignement présentiel ou à distance.
L’évolution du rôle des bibliothécaires et documentalistes
S’appuyant sur son expérience en bibliothèque universitaire, Christian Lupovici a rappelé les transformations de l’environnement documentaire mais aussi du public, de plus en plus indépendant par rapport à la médiation. L’usager est rassuré par le bruit, « le nouveau canon de la documentation », à la grande inquiétude des bibliothécaires, victimes des fantasmes de l’exhaustivité et de la validation des contenus. On a changé de paradigme : « Si on recherche l’analogie, on est réactionnaire. »
Pour lui, la bibliothèque numérique se définit par l’ubiquité de l’information et la diversification des sources et des structures des documents. C’est une véritable bibliothèque car elle présente « une collection organisée, triée et présentée », un accès contrôlé et une politique de développement des collections.
Le numérique induit une nouvelle bibliothéconomie : il a un impact sur les fonctions traditionnelles du bibliothécaire, sur la conception de l’information, sur la propriété intellectuelle et sur l’économie de l’information. Un nouveau positionnement des bibliothécaires dans le processus éditorial doit se mettre en place.
Christian Lupovici a défini les nouveaux axes du métier des bibliothécaires et documentalistes : l’assistance en ligne, la formation des usagers, la gestion des objets numériques et la construction d’ontologies. Les compétences et les responsabilités de tous les personnels s’élargissent : « On a besoin de nouveaux profils qui ne sont pas identifiés par la formation », a-t-il regretté.
Interfaces et portails
Fabrice Papy présenta le prototype Visual CDU, un outil de visualisation du catalogue en ligne de la BU de Paris VIII qui s’inscrit dans les projets de recherche du laboratoire Paragraphe destinés à faciliter l’accès à l’information.
Pierre Cubaud (Conservatoire national des arts et métiers) décrivit deux bibliothèques numériques diffusant des corpus numérisés : l’un en mode texte, ABU 2, le site de l’Association des bibliophiles universels, et l’autre en mode image, le Conservatoire numérique des arts et métiers 3. Il mit en évidence les problèmes liés à la numérisation comme la déformation des caractères. Des techniques de numérisation en 3D sont actuellement expérimentées. Pierre Cubaud a étayé son exposé par des analyses du comportement des usagers.
L’intervention d’Emmanuelle Janès-Ober porta sur le nouveau portail BioLib destiné au seul public des chercheurs de l’Institut Pasteur. Elle insista sur la campagne de promotion et d’information mise en œuvre pour le faire connaître. Elle souligna les difficultés rencontrées : l’adaptation d’un produit standard à toutes les pratiques, l’exhaustivité de l’offre, les limites budgétaires, juridiques et humaines dont les usagers ne sont généralement pas conscients.
Michel Roland (SCD de l’Université de Nice Sophia-Antipolis) retraça l’élaboration d’un projet local ouvert en décembre 2003 : RevEl@Nice, un site institutionnel de revues électroniques en sciences humaines et sociales 4. Il a souligné la collaboration entre les structures politiques, les bibliothécaires et les informaticiens de l’université afin de valoriser la recherche niçoise.
Dernier intervenant, Dominique Lahary (Bibliothèque départementale du Val-d’Oise) s’est décrit avec humour comme le « représentant d’une conjuration ». Il s’est intéressé à l’accès aux catalogues depuis la « préhistoire » des fichiers manuels jusqu’aux Opac – qui ne sont que des catalogues papier déguisés. Le public les utilise très peu (« Le langage documentaire fait écran ») et est indifférent au souci constant des bibliothécaires : éviter le bruit. Qu’est-ce qui peut changer ? Les formulaires de recherche, les résultats (avec le multimédia et les liens) et… l’indexation – « C’est une nouvelle très dure à annoncer. » L’objectif est « l’éradication de la cuisine locale ». Dominique Lahary a conclu sur la nécessité de développer des interfaces locales d’accès aux ressources.