Archives ouvertes et logiciels libres

Juliette Doury-Bonnet

L’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) a organisé deux journées d’étude sur les archives ouvertes et les logiciels libres : « Les modèles libres pour l’accès à l’information », le 10 mai, et « Les logiciels libres, solution pour la gestion de l’information ? », le lendemain. Ces rencontres, initialement prévues dans les locaux du centre d’information Sources d’Europe à la Défense (qui ont fermé leurs portes le 19 mai), ont eu lieu au siège parisien de l’ADBS.

Une licence libre permet de copier, diffuser et modifier une œuvre. Mais la juriste Mélanie Clément-Fontaine a souligné que « le domaine est flou », car « il y a autant de licences libres qu’il y a d’auteurs : chacun fait sa salade ». Les licences diffèrent par les conditions de diffusion et de modification, par les modalités d’exercice des autorisations. Les règles de la propriété intellectuelle sont prévues pour protéger l’auteur. Le droit moral est incessible (paternité, repentir, retrait, divulgation, intégrité de l’œuvre) : une licence ne peut accorder de blanc-seing à celui qui modifie une œuvre.

Le libre accès, un modèle alternatif

La crise du coût des périodiques a entraîné « une réaction musclée des bibliothécaires » qui ont réussi à alerter une partie des scientifiques (une minorité). Mais, selon Jean-Claude Guédon (Université de Montréal), la situation est pire que ce que l’on croit, car ce n’est pas seulement une question d’argent : « Il y a des choses plus perverses. »

En effet, les éditeurs cherchent de manière scientométrique les sujets émergents pour permettre aux scientifiques de créer des revues nouvelles, conçues comme des instruments d’investissement et comme une manière d’influencer la politique de la recherche. Deux problèmes se posent : la pérennité d’un système insupportable financièrement et l’influence des grands éditeurs commerciaux sur le développement des connaissances. D’où la recherche de voies alternatives qui ont abouti entre autres à la déclaration de Budapest en février 2002.

Dans le mouvement du libre accès, bibliothécaires et chercheurs ont des objectifs différents. Les consortiums des premiers s’occupent moins de titres que d’éditeurs. Pour les seconds au contraire, les titres priment : « Elsevier, qui c’est ça ? », demandent même certains scientifiques. Les chercheurs recherchent la diffusion, la visibilité, l’image de marque garanties par les revues les plus prestigieuses.

En réaction à l’évolution des revues commerciales, des revues libres se sont créées, comme celles de BioMed Central et de Public Library of Science (PLoS). Les auteurs, ou leur laboratoire, paient (entre 525 et 1 500 $ par article) pour que leurs articles soient publiés par BioMed Central, après évaluation des pairs. Ils conservent leur droit d’auteur. La revue détient le droit perpétuel mais non exclusif de publier les articles qui sont versés en copie dans un site institutionnel, donc protégé. PLoS s’est attaqué au problème le plus important en créant une revue capable de faire concurrence à Nature ou Science. Une dynamique se met en place derrière ces deux précurseurs : « Certains éditeurs commencent à mettre le doigt de pied dans la piscine », Oxford University Press par exemple.

Beaucoup d’éditeurs sont prêts à travailler sur la question de l’autoarchivage. Les dépôts numériques institutionnels se multiplient mais ils se remplissent mal car « quel est l’avantage pour les chercheurs de se mettre dans un fourre-tout ? »

Le financement de la médiation

Jean-Michel Salaün (Enssib) posa la question du financement de la médiation, car la notion de libre accès peut laisser supposer que le travail des médiateurs est désormais inutile.

Le concept de libre accès dans la publication numérique scientifique a trois origines dont les philosophies diffèrent : le développement du web qui permet aux scientifiques de communiquer entre eux ; la saturation des bibliothèques américaines qui a conduit à la concentration des éditeurs (portails) et des bibliothèques (consortiums) ; l’idée que la science est un bien public qui devrait être accessible à tous, en particulier aux pays les plus pauvres. Il n’est pas sûr que ces trois mouvements aient la même approche de la médiation.

Du côté des médiateurs, l’économie de l’édition a été complètement renouvelée par la mise sur le web. Le cyber-éditeur se construit dans l’alternative : payer pour voir ou payer pour être vu ? Le cyber-bibliothécaire, quant à lui, devient un agent pour négocier des licences et un éditeur. Il reste un orienteur, mais très peu. Il est plus facile de justifier cette dernière fonction s’il y a des collections à gérer.

Cependant, on observe des différences radicales selon le type de science, la discipline et le contexte socioculturel, qui induisent des relations spécifiques à la documentation.

En science fondamentale, les chercheurs n’ont pas besoin de médiateurs. En science expérimentale, la publication vient dans un second temps ; elle s’adresse à une communauté plus large et requiert des médiateurs, éditeurs et bibliothécaires, pour assurer une régulation. En science appliquée, on observe une relation instrumentale à la documentation : on cherche une réponse précise à une question.

En STM (sciences, techniques et médecine), on est déjà dans le numérique. En économie, droit et gestion, la mise en ligne a augmenté la demande de prêt. En SHS (sciences humaines et sociales), cela évolue plutôt du côté du patrimoine.

Le contexte socioculturel a aussi une influence : l’organisation du numérique est différente dans le monde anglo-saxon et dans la francophonie, entre pays du Nord et pays du Sud.

On s’achemine vers une « économie de l’attention ». Il devient plus important d’être vu que de publier. Ainsi il faut que toute la production d’une institution soit en ligne, même si elle est très peu consultée.

« Pourquoi les documentalistes et les bibliothécaires s’intéressent-ils si peu aux moteurs de recherche ? », demanda Jean-Michel Salaün en conclusion. Il faut organiser les outils de recherche, portails et moteurs, et proposer des formations. « Les collections, c’est peut-être une bataille perdue. »

Logiciels libres et SIGB

Nicolas Morin (Bibliothèque universitaire d’Angers) précisa tout d’abord ce qu’on entend par « logiciel libre » : c’est un logiciel pour lequel on a accès au code source et qu’on peut redistribuer avec ou sans modification. La licence GPL (General Public Licence) donne une forme juridique à cette définition. Certains logiciels libres ont des usages bibliothéconomiques 1, mais celui qui concerne tous les professionnels de la documentation, c’est le SIGB (système intégré de gestion de bibliothèque). Peut-on en trouver en licence GPL ? Oui, mais il ne faut pas être naïf, a insisté Nicolas Morin, si le logiciel est gratuit, il induit néanmoins des coûts et beaucoup d’investissement personnel.

Les logiciels libres ont des travers : l’interface est peu intuitive, la documentation faible, voire absente, et le poids des programmeurs, qui valorisent les nouveautés plutôt que les fonctionnalités de base et les usages des utilisateurs, excessif.

Cependant il y a des arguments en leur faveur : l’état du marché des SIGB commerciaux (les fournisseurs préfèrent actuellement vendre de nouveaux modules à d’anciens clients plutôt que d’investir dans de nouveaux développements des modules de base) ; l’insatisfaction face aux fournisseurs (coût des logiciels et de la maintenance, relations difficiles).

Quoi qu’il en soit, seuls les très gros établissements qui ont un développeur en interne peuvent s’insérer dans le « libre ». Le bibliothécaire peut apporter sa contribution, par exemple en traduisant la documentation comme l’a fait Nicolas Morin. La bibliothèque peut financer de nouveaux développements qui seront ensuite mis en commun.

« Notre métier, est-ce de faire de l’informatique ? », s’est interrogé Jean Bernon (SCD Lyon III) qui a insisté sur les inconvénients du « libre » dans lequel il voit « la métamorphose et l’apothéose du service informatique ». Il a évoqué d’autres possibilités : une solution centralisée par un ministère, du type Libra, ou la mutualisation par des établissements ayant un projet commun.

Francine Masson (bibliothèque de l’École des Mines) et Ludovic Méchin (société doXulting) ont illustré le propos en présentant les raisons du choix du logiciel libre d’origine néo-zélandaise Koha pour réinformatiser la bibliothèque de l’École des Mines à Paris.