Pour une histoire des politiques du patrimoine

par Hélène Grognet
sous la dir. de Philippe Poirrier et de Loïc Vadelorge. Paris : Comité d’histoire du ministère de la Culture ; Fondation Maison des sciences de l’homme, 2003. – 615 p. ; 24 cm. – (Travaux et documents ; 16). ISBN 2-11-094275-4 : 22 €

Cet ouvrage fait partie du vaste corpus consacré à l’analyse et à l’histoire du fait patrimonial dans la France contemporaine, établi d’après les travaux du Comité d’histoire du ministère de la Culture. Il propose une trentaine de contributions émanant d’universitaires, de chercheurs, de personnalités qualifiées, suite à un chantier du Comité d’histoire, mis en œuvre depuis 1997. À cette date, ont été définis le champ d’investigation, la période couverte et la méthode de travail. Le champ recouvre les secteurs actuels de la Direction de l’architecture et du patrimoine, soit l’archéologie, l’ethnologie, l’inventaire, et les monuments historiques (sont donc exclus les archives, les bibliothèques et les musées). La période privilégie la longue durée, cherchant les prémices des politiques actuelles dès la Révolution française. Enfin, la méthode : après l’établissement d’un premier rapport faisant état de la recherche, les interventions ont été débattues en présence de grands témoins, avant la mise au point de la publication de l’ensemble des textes.

Périodisation des politiques du patrimoine

La périodisation est une des préoccupations majeures des contributions présentées. L’histoire et la chronologie des politiques du patrimoine restent délicates à établir, et l’on manque encore d’études visant à embrasser l’ensemble du système à un moment donné, d’autant que tous les champs n’obéissent pas aux mêmes rythmes (le temps de l’archéologie n’est pas le même que celui de l’ethnologie). D’où des propositions diverses, mettant en avant qui l’arrière-plan centralisateur et citoyen comme fil conducteur de la structuration patrimoniale française, qui la nature fondatrice des séquences juridiques de 1830, 1913 et 1964.

D’autres contributions signalent les phénomènes d’écho historique (la naissance de l’inventaire qui reprend les principes et les techniques posés dès la Révolution), ou les phénomènes d’oubli, comme ceux qui traversent l’ethnologie française entre 1945 et 1960.

Enfin certaines charnières de l’histoire des politiques du patrimoine sont confirmées : le moment Guizot (1830), le moment Malraux (1960), les grandes lois républicaines protégeant le patrimoine monumental (1887, 1913) et les sites naturels (1906, 1930). Tandis que d’autres sortent de l’ombre : la fin de l’Empire (1810-1815) et la Restauration (1815-1830). Des études sur l’Anjou et la Seine-Inférieure montrent en effet qu’il existait sur le terrain dès cette époque les prémices d’une prise de conscience et d’une prise en charge dans les domaines de l’inventaire, de l’archéologie et de la protection.

Plusieurs textes s’attardent sur les tensions qui se font jour pendant la Troisième République : entre l’administration des cultes et celle des beaux-arts, entre la politique patrimoniale et la politique artistique, entre les conceptions des scientifiques et celles des amateurs. D’autres, en particulier sur la reconstruction des villes normandes après-guerre, établissent que la question des monuments historiques, et celle du rapport à l’ancien, étaient déjà présentes pendant la Quatrième République, souvent présentée au contraire comme l’antithèse du patrimonial.

La période malrucienne est abondamment commentée, notamment dans ce qui apparaît également comme une de ses spécificités : l’articulation du patrimoine et de la création.

La période contemporaine, marquée à la fois par l’expansion du domaine patrimonial et l’émergence de ces nouveaux acteurs que sont les associations et les collectivités territoriales, reste plus difficile à analyser.

Un ouvrage érudit et foisonnant

Au-delà de ces questions de périodisation, ce sont les relations entre les différents acteurs des politiques patrimoniales qui sont abordées, sans tomber dans l’habituelle analyse bipolaire : amateurs contre professionnels, associations contre administrations, centre contre périphérie… L’analyse de certains territoires montre la complexité des réseaux, l’entrelacement des enjeux culturels et identitaires, et restitue l’importance de certains acteurs quelquefois oubliés : préfets, militaires, élus locaux et députés, conservateurs des antiquités et objets d’art, ou encore architectes en chef des monuments historiques.

Sont également présentés l’évolution administrative des services des monuments historiques et des institutions françaises à l’étranger et les mille et une réorganisations de l’archéologie métropolitaine, sans oublier les impacts de la question récurrente de la réforme de l’État : régionalisation administrative des années 1960, décentralisation des années 1980, politique des pays des années 1990.

Enfin, plusieurs contributions combattent le mythe de l’isolement superbe des politiques du patrimoine : ainsi l’étude des politiques coloniales de l’archéologie établit clairement le lien entre politique étrangère, action coloniale et politique patrimoniale.

Outre la somme des informations offertes, l’intérêt de ces textes se situe dans le rappel, la contextualisation et la discussion de l’abondante bibliographie sur la question, depuis les articles d’André Chastel en 1980, jusqu’au médiatique État culturel de Marc Fumaroli de 1991, en passant par l’incontournable rapport de Max Querrien de 1982, Pour une nouvelle politique du patrimoine.

Remercions les auteurs pour cet ouvrage érudit et foisonnant qui apporte à tous ceux qui s’intéressent aux politiques culturelles et patrimoniales des éléments indispensables de connaissance et de réflexion.