Évolutions de la documentation
naissance d'une discipline scolaire
Muriel Frisch
L’auteur rappelle, dans un premier temps, les grandes étapes de l’histoire de la documentation. La notion de « documentation » naît avec l’écriture. Dès l’Antiquité, apparaissent les premiers outils de caractérisation et de diffusion de l’information et les premières bibliothèques, lieux de conservation et d’organisation des savoirs. C’est l’invention de l’imprimerie qui permet une diffusion plus large et plus massive de l’information. Le livre imprimé devient dès lors un outil de communication. Le XIXe siècle se caractérise par la structuration de la bibliothéconomie, avec notamment l’apparition des premières grandes classification (Brunet et Dewey, qui ouvrent la voie à Ranganathan et à sa notion de « facettes » dans les années 1930). Et l’auteur de conclure, à l’issue de ce rapide survol : « Les gestionnaires se sont d’abord focalisés sur la description du contenant. Ils ont accordé une importance plus grande à l’aspect technique du document, au sens de sa description matérielle. Ce n’est que très progressivement que contenant et contenu vont être traités à part égale. »
Muriel Frisch identifie trois grands types de pratiques professionnelles : « les pratiques anciennes », développées depuis l’Antiquité jusqu’à la Révolution ; « les pratiques pré-documentalistes », essentiellement bibliothéconomiques ; « les débuts des pratiques de l’activité documentaire ».
La rupture épistémologique se situe dans les années 1930. À l’origine, le modèle dominant est principalement axé sur le contenant : c’est une logique de conservation-gestion qui prime. À partir de 1930, l’exploitation intellectuelle du document prend de l’importance, à côté de la fonction de conservation. C’est alors que le terme « documentaliste » et la notion de « techniques documentaires » apparaissent.
Deux métiers différents ?
« Bibliothécaires comme documentalistes utilisent une histoire commune […] mais cette dernière catégorie de professionnels fait porter davantage l’intérêt sur la demande, sur l’utilisateur, sur les différents moyens d’accès, sur les différents supports, sur les différentes natures de documents. » On aborde ici un premier point de critique à l’égard de cet ouvrage. L’auteur pointe, à juste titre, la dichotomie qui a pu exister entre un bibliothécaire gestionnaire de contenant et un documentaliste médiateur de contenu. Mais aujourd’hui, le fossé tend à disparaître : les professionnels de la documentation, qu’ils soient bibliothécaires ou documentalistes, doivent se préoccuper tant d’organisation et de gestion des fonds documentaires que de transmission de l’information, des savoirs et des techniques. Le métier de bibliothécaire ne se réduit pas, fort heureusement, à la seule bibliothéconomie : pour Claudine Belayche, ancienne présidente de l’Association des bibliothécaires français, comme pour de nombreux professionnels de la documentation, « la bibliothèque traditionnelle s’est mise à faire de la documentation ».
L’auteur tente ensuite d’appréhender ce qui structure la documentation. Elle met en avant l’existence de quatre concepts essentiels : le document, sans lequel il n’y a pas de documentation, les techniques documentaires ainsi que les langages documentaires, qui permettent le traitement de l’information, et enfin l’information, structurellement liée à la notion de documentation.
Naissance d’une discipline scolaire ?
Les premières bibliothèques scolaires apparaissent à la fin du XIXe siècle : Gustave Rouland, ministre de l’Instruction publique, décide en 1862 d’implanter une bibliothèque scolaire dans chaque école. Il faut néanmoins attendre plus d’un siècle – 1966 – pour voir la création des Services de documentation et d’information (SDI). Dans les années 1970, la pédagogie évolue avec l’apparition puis le développement des méthodes dites actives. C’est dans ce contexte que les SDI deviennent des Centres de documentation et d’information (CDI). En 1977, une circulaire paraît, qui précise les fonctions des responsables de CDI : la dimension pédagogique du documentaliste est clairement affichée. Dans les années 1980, l’accent est mis sur les apprentissages méthodologiques au sein des disciplines. En 1986, une circulaire importante précise les missions des « documentalistes-bibliothécaires » : leur rôle pédagogique est réaffirmé avec force. Le Capes de documentation est créé en 1989, le « documentaliste-bibliothécaire » devenant « professeur-documentaliste ». Si l’affichage est clair, la réalité l’est moins. « La documentation devient alors jeune discipline scolaire sans pour autant être reconnue comme telle par le système éducatif », concède Muriel Frisch. Ce constat fait écho à la préface de Jean-Pierre Astolfi : « Si l’on admet qu’il y a bel et bien enseignement dès qu’il y a intention d’instruire, alors le documentaliste peut être reconnu comme un enseignant. »
On formulera ici une seconde critique à l’égard du livre de Muriel Frisch : la période récente, qui voit l’affermissement de la place de la documentation au sein du système éducatif, fait l’objet d’un traitement trop rapide. Certes contrainte par un format de collection peu approprié à une matière si dense, l’étude aurait néanmoins mérité d’être plus rapide dans sa première partie. Les évolutions de la documentation jusqu’à l’introduction de la documentation en milieu scolaire, simples rappels, et le passage d’une logique de conservation à une logique de gestion pouvaient être résumés, pour laisser plus de place à la partie consacrée à la naissance et à l’affirmation de la documentation en tant que discipline scolaire.
Reste en effet à la documentation en milieu scolaire à parvenir à faire reconnaître pleinement sa spécificité tout en conservant son caractère fondamentalement interdisciplinaire. « La documentation est aujourd’hui assez mûre pour trouver sa place à l’école autrement que dans un “saupoudrage” au travers de dispositifs changeants et parfois mal définis », souligne fort justement Muriel Frisch. Puisse-t-elle être entendue de l’ensemble du système éducatif.