Lectures, numéros 129 à 133
Lectures, publication bimestrielle du Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique, a renouvelé à la fois son rédacteur en chef – qui est une rédactrice – et sa présentation au début de 2003.
Apparition de la Flandre
J’avais naguère ici même remarqué le caractère décontextualisé de Lectures où n’apparaissaient pas les 60 % de néerlandophones 1. Ce n’est plus tout à fait vrai. L’éditorial introductif du numéro 130 de mars-avril 2003 s’intitule « Du côté de la Flandre ». Dans cette livraison, les bibliothèques publiques flamandes nous sont décrites comme « florissantes » : nombreuses, rénovées, intégrées en réseaux informatiques et de partage des tâches et, horresco referens, où « le diplôme de bibliothécaire n’est plus requis pour les postes dirigeants » 2. On y découvre ou redécouvre la littérature d’expression néerlandaise – dont le flamand est une variante dialectale en régression face au « néerlandais standard » enseigné à l’école – avec des auteurs que je conseille vivement pour les avoir lus en français, notamment dans des traductions publiées par Actes Sud et par Gallimard : Hugo Claus, Harry Mulisch, Hella Haasse et mon préféré : Cees Nooteboom.
En Flandre toujours, où pourtant un mouvement politique xénophobe 3 a souvent les honneurs des médias, l’alphabétisation des adultes immigrés 4 est confiée à un réseau d’ASBL (associations sans but lucratif) qui marquent apparemment une certaine résistance à une éventuelle intégration au système éducatif officiel, jalouses qu’elles sont de leur indépendance et de leur souplesse de fonctionnement. Cependant l’originalité y est que le système fonctionne avec les subsides de la Communauté flamande et sans le recours au bénévolat qui serait une spécificité du côté francophone ; il touche un public d’apprenants qui est exactement le double de celui qui est concerné par les actions wallonnes.
En ces temps où le mot « idéologie » est susceptible de passer aux oubliettes de la ringardise, il est réconfortant de constater qu’en Belgique le débat est vif entre ceux qui donnent – côté flamand – une priorité à l’éducation de base exclusivement évaluée selon des normes de performances pédagogiques et de résultats et ceux qui – au sud wallon – essaient d’agir contre les mécanismes sociaux de l’exclusion.
Le ton de Lectures
Le style et le contenu des articles et des dossiers que l’on trouve dans presque chaque numéro de Lectures font de cette publication un outil. Ce qui est à la fois bien modeste et bien ambitieux. Nous avons besoin de textes outils dans lesquels les auteurs disent ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils ont en chantier, comme ceux de Lectures dont le ton est souvent celui du constat et du bilan de l’expérience ou de l’action réalisée. D’où quelquefois la lecture de questions d’un bon sens qui nous réveille. Par exemple, Florence Richter, dans l’article « Que fait le CLPCF ? » 5, où elle évoque la fonction de formation continue de l’organisme associatif qu’elle dirige, se demande si une visite de bibliothèque est une formation. Que ceux qui ne se sont jamais posé la question, et qui ne doutent cependant pas de l’intérêt de visiter une bibliothèque, lui jettent la première pierre !
L’association d’idées liées au mot « visite » me remémore un autre problème, que je trouve bien agaçant, celui des visites de classes. Nombreux sont ceux que saisit la perplexité quand ils voient débarquer dans leur bibliothèque une rangée de gamins dûment cornaqués par leur enseignant quotidien. Ainsi, quand le directeur de la Bibliothèque centrale du Hainaut 6 s’interroge tout simplement sur le danger de la transformation de la bibliothèque en auxiliaire de l’école et sur les équivoques de ce que nous appelons « les visites de classes », je ne peux que partager le doute qui l’effleure. Combien d’élèves en public captif deviendront des lecteurs libérés ?
Mais le numéro où apparaissait cette interrogation a réussi, dans un dossier intitulé « Les bébés et les livres : où en est-on en Communauté française ? », à me réconcilier avec les bébés lecteurs. Je n’ai jamais douté de l’intérêt de donner des livres à ces chers petits, mais l’expression « bébés lecteurs », un temps brandie chez nous en étendard d’un militantisme passionnellement exacerbé, me poussait un peu par provocation à rappeler qu’il existe aussi un « grand-âge lecteur » qui n’est pas moins important.
Vive la bibliographie de papier
La fonction bibliographique de Lectures, rafraîchie par une mise en couleurs quelquefois surprenante – chaque numéro a une couleur dominante dans son impression et dans son illustration –, mériterait une longue analyse qui déborderait le cadre et l’intention de ces lignes. Dans chaque numéro, les rubriques « Les enfants d’abord ! » et « Et les ados aussi » analysent des titres et genres d’ouvrages particuliers. Plus loin, un choix de livres au format de poche, « Mise en poche », et les « Recensions » donnent couramment soixante pages environ de références bibliographiques plus que compactes sur les parutions récentes. Je me suis demandé, avec admiration, comment était organisé cet étonnant travail et à quoi il servait. Non que je doute de son utilité, mais comment s’en servent effectivement des bibliothécaires responsables d’acquisitions ? Ces bibliographies permettent de constituer des fonds et des bibliographies thématiques, sans doute, mais peut-être obéissent-elles à la peur de manquer l’essentiel et l’important, dans une frénésie compilatoire qui répond au premier objectif d’être utile. Mais il n’y a pas de cumulatifs, ou alors cela m’a échappé. Comment fait-on pour retrouver une notice dans les numéros précédents sans les reprendre un par un ?
J’ai consulté des notices analytiques d’ouvrages que j’avais lus ou au moins parcourus, notamment celles des ouvrages de Mary Carruthers 7, et les ai trouvées fort bien faites. J’en ai conclu qu’un acquéreur ou une acquéreuse en sciences humaines dans une bibliothèque universitaire aurait intérêt à utiliser aussi Lectures pour ses achats. Qu’on ne prenne pas cette suggestion pour une promotion, la lecture publique se suffit amplement à elle-même sans avoir besoin d’une validation universitaire.
Où l’on en finit, provisoirement, avec le droit de prêt
Si vous ne pouviez vous procurer qu’un seul numéro de Lectures et ne lire qu’un seul de ses dossiers, lisez celui du numéro 133 : « Les droits d’auteur et les bibliothèques ». La limpidité du rédactionnel y révèle un certain nombre d’ambiguïtés. On retrouve en arrière-plan l’opposition entre la Flandre libérale et la Wallonie plus attentive aux produits qui doivent avoir un statut d’exception culturelle, tout en ne voyant pas bien les différences des positions prônées dans chaque Communauté. Le gouvernement de la Communauté française « s’est opposé à ce droit d’auteur sur le prêt et à sa prise en charge par les utilisateurs ou les pouvoirs organisateurs des bibliothèques » 8.
Donc, on ne répercute pas sur l’usager ni sur sa collectivité territoriale, mais alors sur qui, puisque le droit de prêt n’est pas remis en cause dans son principe ? On voit là une forme à la fois différente et très proche du débat que nous avons connu en France et qu’il faut lire avec à l’esprit la question d’échelle. À raison d’un montant théorique proposé d’un droit de prêt payé par l’usager de 5 ¤ par an, le total perçu serait supérieur au budget d’acquisition des bibliothèques de Wallonie et l’essentiel de ce total irait… en France, puisque la plus grande partie des ouvrages en français viennent de notre pays.
Les auteurs et les éditeurs francophones belges ont des raisons supplémentaires d’inquiétude dans un pays où l’expression « gérer la complexité » est plus riche de sens et de contenu que partout ailleurs.