Les enjeux de la lecture publique aujourd'hui à Paris
Juliette Doury-Bonnet
À l’occasion du Salon du livre 2004, la mairie de Paris a proposé des rencontres quotidiennes pour faire connaître les différentes facettes de son réseau de bibliothèques. Le 23 mars, après une conférence de presse présentant un plan en faveur de la lecture publique et les résultats d’une enquête de public menée en 2003 1, a eu lieu une table ronde sur le thème « Entre complémentarité et concurrence, les enjeux de la lecture publique aujourd’hui à Paris ».
Le journaliste Michel Field a introduit les débats en mettant l’accent sur un paradoxe : à Paris, la surconsommation culturelle s’accompagne d’une sous-utilisation des bibliothèques. Faut-il attribuer cela aux changements de politique, à la grande pluralité de l’offre culturelle, au mode de vie des Parisiens ?
Un manque de visibilité certain
La bibliothèque est un projet démocratique, urbain et multisectoriel – culturel, éducatif, mais aussi d’image de la ville et de sociabilité. Anne-Marie Bertrand a souligné le retard structurel de Paris par rapport aux autres grandes villes et les difficultés du projet urbain.
Tous les intervenants se sont accordés sur le manque de visibilité du réseau parisien des bibliothèques. Pour Yves Alix, responsable du Service scientifique des bibliothèques de la ville de Paris, les Parisiens ne voient pas les bibliothèques du réseau de lecture publique et en fréquentent d’autres, comme la BnF ou la BPI, qui font écran.
Jean-Marie Borzeix, président de l’association Paris-Bibliothèques, a suggéré la construction d’un « vaisseau amiral qui tirerait l’ensemble du réseau ».
Christophe Girard, adjoint au maire de Paris chargé de la culture, a renchéri : « Le centre de Paris souffre de l’absence d’une grande médiathèque », qui serait à la fois un symbole et une réponse à un besoin. « Ce serait un beau projet pour une deuxième mandature ! »
L’écrivain, le libraire et les poètes
L’écrivain a-t-il envie de s’impliquer dans les bibliothèques ?, a demandé Michel Field. Pour Geneviève Brisac, les écrivains souffrent de la disparition du sentiment de la relation au lecteur depuis les années 1990 et l’entrée dans l’économie du star-system. La bibliothèque incarne cette relation au lecteur, a affirmé la romancière en évoquant des souvenirs de rencontres en bibliothèque.
Laurent Bonelli, libraire chez Virgin Champs-Élysées, s’il a regretté l’étroitesse des horaires d’ouverture des bibliothèques parisiennes, a constaté la complémentarité de l’offre entre librairie et bibliothèque : « Des clients notent des titres en librairie pour les emprunter à la bibliothèque, d’autres achètent le livre qu’ils n’ont pas eu le temps de finir. »
Yves Alix a contredit la libraire Marie-Rose Guarniéri qui reprochait aux bibliothécaires de « rester dans leurs quatre murs ». Il a rappelé les actions hors les murs qui vont au-devant des populations exclues. « Il faut faire sentir aux populations qu’elles sont chez elles à la bibliothèque. Mais aussi chez nous : il faut apprendre les règles. » La bibliothèque est un lieu un peu austère par nécessité.
Une poétesse dans la salle accusa les bibliothèques de faire une trop grande place aux livres d’actualité et une trop petite à la poésie. Anne-Marie Bertrand s’inscrivit en faux : les collections sont marquées par une grande exigence, « trop grande même selon certains ». Il y a toujours une tension entre l’offre et la demande, entre la politique documentaire et les « produits d’appel ».
Pour Gilles Pierret (Médiathèque musicale de Paris), c’est « une vieille histoire », un débat caricatural dont il faut sortir. « On ne peut pas travailler seulement pour les lettrés. » Il a appelé à un peu de modestie et, prêchant pour sa chapelle, a demandé qu’on n’oublie pas les supports autres que le livre.
Yves Alix est allé dans le même sens : il est important de défendre les « mauvaises lectures » et la pluralité de l’offre, car la bibliothèque est « le miroir de la vie ».