L'histoire des bibliothécaires
Sheza Moledina
Du 27 au 29 novembre 2003, le Centre de recherche en histoire du livre (CRHL) a organisé à la Bibliothèque municipale de Lyon un colloque autour du thème de l’histoire des bibliothécaires. Il s’agissait de dynamiser un domaine scientifique longtemps négligé, celui de l’histoire des bibliothèques, en privilégiant, dans un premier temps, l’histoire des bibliothécaires et, plus largement, des personnels travaillant dans les bibliothèques de type public et privé. Depuis les travaux ayant abouti à la publication de l’Histoire des bibliothèques françaises 1, en effet, la problématique et les conditions mêmes de la recherche ont été fondamentalement renouvelées. Le champ chronologique et géographique se voulait large : du Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, sans borner le propos aux frontières de l’Hexagone. Au contraire, il s’agissait d’inscrire ce colloque dans une perspective de l’histoire comparée et de favoriser une vision plus globale de l’histoire des bibliothécaires, en France comme dans d’autres aires géographiques.
Dans son discours d’introduction, Frédéric Barbier, directeur du CRHL, a dégagé les trois axes autour desquels ce champ d’étude pouvait s’articuler :
– Le statut social et administratif. Le bibliothécaire assume cette charge pour un groupe au sens large du terme : bibliothèque publique, privée, académie, centre de documentation et d’information, etc.
– Les fonctions matérielles, culturelles liées à cette charge : la connaissance des techniques professionnelles, de la science des livres, des questions liées à la numérisation. Cet axe comprend aussi la condition sociale du bibliothécaire. Par exemple, dans le cas d’une sinécure, un modèle qui était encore en usage dans la première moitié du XXe siècle, la charge était conférée à un homme de lettres qui pouvait se consacrer à l’écriture et à l’érudition tout en ayant un revenu et un statut social. De même, un bibliothécaire peut exercer d’autres « fonctions » : prince, professeur, éditeur, etc.
– Le rôle du bibliothécaire. Il doit représenter une ville, une nation, une cohérence sociale, un patrimoine, un groupe éclairé, etc.
Les communications qui ont été données tout au long des trois journées ont justement démontré le rôle complexe et évolutif du bibliothécaire. La première partie du colloque était consacrée aux bibliothécaires de l’époque des Lumières. Quels étaient les manuels techniques à l’usage des bibliothécaires ? Comment la profession était-elle exercée dans d’autres régions d’Europe : Goethe à Weimar et à Iéna, Winckelmann en Saxe puis en Italie, les bibliothécaires romains aux XVIIe et XVIIIe siècles à l’époque où la Ville comptait près de 150 bibliothèques, enfin à Saint-Pétersbourg, ville impériale et internationale, où plusieurs bibliothécaires étaient originaires d’autres pays européens ? Toujours à l’Est, deux autres communications ont donné un éclairage subtil sur le profil des bibliothécaires à Prague et en Bohême.
Dans la deuxième partie du colloque, consacrée à la période qui va des Lumières au début du XXe siècle, quelques grandes figures françaises ont fait l’objet de communications : le chanoine Boullemier au collège des Godrans à Dijon ; l’abbé Bignon à la Bibliothèque du Roi ; Gabriel Prunelle à Montpellier ; Eugène Godin à la salle B de la Bibliothèque nationale et, enfin, Charles Nuitter, fondateur de la bibliothèque de l’Opéra de Paris. Toutes ces personnalités, si différentes les unes des autres, ont laissé leur empreinte sur les bibliothèques qu’elles ont elles-mêmes constituées, ou dont elles ont eu la charge à un moment donné.
La dernière partie du colloque avait pour thème « les figures de la modernité ». Plusieurs interventions ont porté sur le métier de bibliothécaire tel qu’il a été pensé et tel qu’il a évolué dans des établissements publics (les bibliothèques municipales et universitaires) aux XIXe et XXe siècles. On a également évoqué certaines périodes critiques, à travers l’exemple de l’Occupation. Enfin, deux interventions ont examiné le rôle des bibliothécaires ecclésiastiques, qui étaient le plus souvent des érudits, d’une part à la Bibliothèque vaticane aux XVIIe et XVIIIe siècles et d’autre part, dans les scolasticats jésuites au début du XXe siècle. Un dernier exposé a révélé comment la figure du bibliothécaire a été représentée dans le cinéma et la littérature, représentation tantôt caricaturale poussée à l’extrême, tantôt d’une vérité mordante.
La diversité des communications et l’auditoire nombreux ont mis en évidence l’intérêt que suscite le métier de bibliothécaire et la nécessité d’étudier de manière plus approfondie et scientifique l’évolution de celui-ci à travers les âges et les frontières. Pour clore ces trois journées de riches communications et débats, une table ronde a été organisée afin d’étudier la façon de poursuivre les recherches dans le domaine de l’histoire des bibliothèques et des bibliothécaires.