Publier, diffuser et distribuer

Quelles perspectives pour la petite édition ?

Juliette Doury-Bonnet

Le 9 mars 2004, le Syndicat national de l’édition (SNE) a fait salle comble en organisant un forum d’une demi-journée sur le thème de la petite édition. L’auditorium Saint-Germain-des-Prés, à Paris, a accueilli en effet trois cent cinquante personnes, dont de nombreux petits éditeurs venus de province, pour un débat d’actualité, dans un contexte de crise (dépôts de bilan, incendie de l’entrepôt des Belles Lettres, etc.).

État des lieux

La première table ronde a présenté un état des lieux par les différents acteurs de la chaîne du livre.

Jean Sarzana, délégué général du SNE, a souligné que, sur 3 500 maisons d’édition, 30 % éditent 95 % de la production et 30 % seulement 0,3 %. Il a reconnu que le SNE, qui ne compte que 300 adhérents, a du mal à saisir la réalité des petites maisons. Beaucoup d’éditeurs, trop petits ou trop éloignés de Paris, ne participent pas aux travaux et échappent aux statistiques. Il a souhaité mieux les connaître grâce à ce forum.

Liana Levi représente les petits éditeurs au sein du Bureau du SNE, l’organe exécutif du syndicat, dont la composition reflète la diversité économique de la profession. Elle s’est aperçue dès son élection que les sujets débattus étaient très loin des préoccupations des petits et a fortiori des micro-éditeurs : « On ne joue pas dans la même cour. » La difficulté est de constituer une structure d’accueil commune. Avec moins de 10 titres publiés par an, aucun salarié, moins de 150 000 ¤ de chiffre d’affaires, les micro-éditeurs se diffusent eux-mêmes ou appartiennent à une structure qui ne leur permet pas d’accéder aux 400 librairies « de premier niveau » (et ce n’est pas leur souhait). Ils sont très isolés : ils n’ont pas de contact entre eux, ni avec le SNE. Les difficultés se sont accentuées après la faillite d’Alterdis.

Rémi Amar (Le Seuil) et Frédéric Salbans (Harmonia Mundi) ont donné le point de vue des diffuseurs. Pour le premier, les vraies difficultés commencent lorsque le livre est édité : l’éditeur doit trouver « le bon diffuseur », celui qui comprendra sa spécificité. Il a conseillé aux petites maisons de ne pas trop se diversifier, afin d’avoir une image repérable, d’essayer de se grouper par domaines ou par régions, de mettre à jour leurs fichiers pour faire connaître leur production. Frédéric Salbans a noté que « le prix unique du livre maintient la possibilité d’une existence viable » pour les petits éditeurs.

Pour André Imbaud (Sodis), « la distribution, c’est l’intendance ». Elle doit gérer les échanges entre les interlocuteurs du réseau du livre : flux physiques (réception, stockage, envoi des ouvrages, gestion des retours) et flux financiers (facturation, recouvrement, etc.). C’est le distributeur qui met en forme la fiche-produit envoyée à Dilicom, structure ouverte à tous, même aux plus petits éditeurs. André Imbaud a donné des indications de coût, en précisant que la dimension n’avait pas tellement d’importance. Frédéric Salbans a souligné qu’il y avait néanmoins des échelles : « À un certain stade, on ne peut pas robotiser. »

Trois libraires, Claude Louis (La Plume et l’encre, à Bussy-Saint-Georges), Matthieu de Montchalin (L’Armitière, à Rouen) et Christian Thorel (Ombres blanches, à Toulouse), ont esquissé les relations qu’ils entretiennent avec les petits éditeurs, souvent découverts grâce à la commande d’un client. « C’est parfois le parcours du combattant pour identifier l’éditeur, pouvoir passer commande et être livré », a regretté Claude Louis. « La librairie indépendante ne refuse pas de commande, mais il faut que les petits éditeurs déclarent leur production, a renchéri Matthieu de Montchalin. Ensuite le libraire pourra la défendre. » Il a ajouté que les petits éditeurs devraient veiller à intégrer les frais de port dans le prix du livre, afin de ne pas les faire supporter au libraire.

Expériences, pistes et appuis

Richard Edwards (Éditions de l’Imprimeur) a présenté Inextenso, une association loi 1901 « qui n’est pas un modèle, mais une solution » : dix éditeurs d’art se sont regroupés « par révolte » pour diffuser leur production. Inextenso propose un catalogue de 600 titres et a choisi une stratégie de développement européenne : « Francfort plutôt que Paris. » Hélène Clemente, chargée de la diffusion, a souligné que Inextenso était né d’une pratique de terrain. Comme d’autres intervenants, elle a reconnu que « les libraires aident les éditeurs à se professionnaliser ».

Mijo Thomas, directrice de Macula, éditeur d’art qui a choisi la solution de l’auto-diffusion-distribution, a fait part de son expérience. L’uniformisation des fonds des librairies, au taux de rotation accéléré, le photocopillage et l’augmentation des droits photographiques ont accru les difficultés. « Éditer a un coût, mais diffuser et distribuer encore plus. »

Bernard de Fréminville représentait Dilicom, service interprofessionnel destiné aux distributeurs et aux libraires, dont le rôle est de faire circuler l’information électronique entre les acteurs de la chaîne du livre. Dilicom gère le FEL (fichier exhaustif du livre). Les petits éditeurs peuvent bénéficier gratuitement des bases de données et acquérir une plus grande visibilité, mais encore faut-il qu’ils transmettent les informations.

Si Dilicom est responsable du catalogage commercial, Électre s’occupe de l’aspect bibliographique. Laurent Dervieu s’est félicité du « choix de la valeur ajoutée qui fait le succès d’Électre », grâce aux résumés, à l’indexation et aux tables des matières, « très appréciées des chercheurs en bibliothèque universitaire ». Il a reconnu que, bien que sa société référence les éditeurs, elle ne s’intéresse pas tellement à eux.

Guillaume Husson (Direction du livre et de la lecture), Michel Marian (Centre national du livre) et Véronique Tabarly (Centre régional des lettres Midi-Pyrénées) ont tracé le paysage des subventions accordées par les pouvoirs publics. La taille des maisons d’édition n’est pas un critère d’aide, ont souligné les deux premiers intervenants. Seule la qualité est prise en compte. Cependant, sur les 270 éditeurs aidés par le CNL, 80 % ont un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 million d’euros. Le CNL aide aussi à la diffusion : librairies, bibliothèques et auteurs sont concernés. Pour Guillaume Husson, les aides publiques sont très importantes en région, voire trop. « Il faut que l’édition s’appuie sur un modèle économique et se professionnalise par la formation. » Véronique Tabarly a insisté sur la mise en réseau des acteurs du livre en région et sur le rôle d’interface joué par les CRL. Une étude sur l’économie du livre en Midi-Pyrénées a été publiée en octobre 2003 dans la collection « 6 pages » de l’Insee 1 afin de présenter un état des lieux régional.

Le forum s’est achevé sur la question de la formation et sur la difficulté de sa mise en œuvre. Philippe Gille dirige le centre de formation du SNE, l’Asfored (Association nationale pour la formation et le perfectionnement des professionnels des métiers de l’édition), qui propose de nombreux stages et de plus en plus de « sur mesure ». L’OPCA-CGM (Organisme paritaire de gestion agréé Communication graphique et multimédia) finance aussi des formations et cherche des cofinancements.

De la salle sont venus de nombreux témoignages et questions de petits éditeurs. Liana Levi a conclu les débats en insistant sur le besoin d’échanges manifesté par le public.