Réunion des directeurs des bibliothèques de l'enseignement supérieur

Anne-Marie Bertrand

Annie Le Saux

Les 15 et 16 janvier derniers, s’est déroulée l’annuelle réunion des directeurs des bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur, organisée par la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation (SDBD). Selon une coutume désormais bien ancrée, cette réunion fut l’occasion de faire le point sur les dossiers en cours ou à venir.

L’évolution des formations

En ouverture de la première journée, Jean-Marc Monteil, directeur de l’enseignement supérieur, présenta les trois principes qui guident l’évolution des formations vers le système L-M-D (le terme « évolution » est préférable, dit-il, au terme « réforme, trop polysémique »).

Le premier principe est l’adossement des formations à la recherche. La recherche devient le principe majeur de reconnaissance des universités dans leur processus de réorganisation. Les « outils intellectuels et technologiques » mis en œuvre doivent être immergés dans une activité de nature scientifique (recherche fondamentale, recherche appliquée, diffusion de la culture scientifique). Le deuxième principe est la progressivité de la spécialisation des formations : « La spécialisation (le caractère spécifique d’une compétence) ne doit pas s’exprimer à la première heure de cours, mais à la dernière heure d’un cursus. » Cette spécialisation doit être l’objet d’une construction, d’un domaine (sciences), à une mention (physique) puis à une spécialité : d’où la nécessité de « donner une cohérence épistémologique » aux parcours de formation. Le troisième principe est l’internationalisation : « Le seul domaine dans lequel il n’y a pas de frontières, c’est la science », dit encore Jean-Marc Monteil, « Il n’y a pas de science locale – ou alors, c’est du patois ». L’harmonisation européenne est à la fois nécessaire, ambitieuse et difficile.

Nouveaux et anciens chantiers

Brigitte Botalla, chef du Bureau de l’analyse et de la modernisation de la gestion (DES), et Claude Jolly présentèrent la LOLF : loi organique relative aux lois de finance. Nouveau sabir, nouvelle langue étrangère qu’il va falloir apprendre, la LOLF fourmille de nouveautés sémantiques et conceptuelles : « gouverneur de programme », « projet annuel de performance », « dialogue de gestion », « fongibilité asymétrique » – Claude Jolly encouragea l’assistance à « apprendre la LOLF ». Il s’agit d’une réforme du budget de l’État dont le principe est d’assurer une meilleure lisibilité des politiques publiques en les groupant en grandes « missions » – il y en aura une soixantaine en tout. Ces missions sont déclinées dans des « programmes » – par exemple, « Formations supérieures et recherche », eux-mêmes déclinés en « actions », par exemple « Bibliothèques ». Chaque action se verra définir des objectifs, attribuer des moyens et des indicateurs de performance.

Claude Jolly évoqua l’action « Bibliothèques ». Deux objectifs stratégiques lui sont assignés : « développer et moderniser la fonction documentaire dans l’enseignement supérieur » et « consolider le fonctionnement en réseau des bibliothèques ». Les objectifs opérationnels sont : améliorer le service aux usagers, développer les ressources documentaires sur tous supports, informatiser la gestion et l’accès aux ressources documentaires, valoriser le patrimoine documentaire, contribuer au développement du réseau. La réflexion continue sur les indicateurs destinés à rendre compte et évaluer. La LOLF sera appliquée à partir du budget 2006.

Avec l’intervention de Joëlle Claud, chef du Bureau de la coordination documentaire, on se retrouvait en terrain connu. Des informations furent données sur le budget 2004 (17 créations de postes), sur la révision des conventions avec les Centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (Cadist), sur l’application de la loi sur le droit de prêt (le forfait versé par la SDBD se montait à 261 000 € en 2003, et devrait être de 886 000 € en 2004), sur le calendrier des contrats, sur les constructions – avec la déconcentration des expertises au niveau des rectorats. Une question de la salle donna à Claude Jolly l’occasion de faire le point sur le dossier des « moniteurs-étudiants », dossier traité dans le cadre du travail ministériel sur l’accompagnement social des étudiants – en raison de cette inclusion dans ce grand dossier, « le chantier avance lentement » reconnut Claude Jolly.

Outils collectifs

On aborda le lendemain certaines évolutions techniques, électroniques, structurelles, juridiques, et souvent pratiques en cours ou en projet dans les bibliothèques universitaires.

La plupart des dispositifs mis en œuvre pour l’accès aux ressources documentaires – présentés par Danièle Duclos-Faure, chef du Bureau de la modernisation des bibliothèques –, impliquent à la fois la SDBD et l’Agence bibliographique de l’Enseignement supérieur.

Parmi les développements prévus, 2004 et 2005 devraient voir, dans le domaine de la conversion rétrospective, les délais de livraison raccourcis et les doublons évités par un chargement direct des notices dans le Système universitaire de documentation (Sudoc) sans avoir à passer, comme c’est actuellement le cas, par l’ABES. Au troisième trimestre 2004, la suite logique aux deux prototypes réalisés en 2003 aboutira à l’amorce de l’informatisation du Catalogue général des manuscrits. Les centres régionaux du Sudoc, regroupant actuellement environ 2 000 bibliothèques 1, vont, quant à eux, continuer à s’élargir à de nouvelles bibliothèques.

L’un des plus grands changements attendus à l’ABES en 2004 verra le passage du Sudoc au système unicode, qui permettra l’ouverture du catalogage et de la consultation aux caractères non latins. De quoi intéresser la future Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (Bulac), dont Daniel Renoult, chef de la mission interacadémique U3M Île-de-France et Marie-Lise Tsagouria, directrice par intérim de la Bulac, ont retracé la stratégie générale, la politique d’accès aux collections, la politique d’ouverture 2, ainsi que la démarche documentaire.

La Bibliothèque universitaire des langues et civilisations

La Bulac répond à une nouvelle logique, qui se développe depuis quelque temps dans les bibliothèques françaises, de fusion et de réunion d’établissements, dont les collections offrent des caractéristiques communes, mais qui sont, pour certaines d’entre elles, dispersées et de ce fait sous-utilisées. Cette nouvelle bibliothèque sera située au sein d’un nouveau pôle international d’enseignement et de recherche Langues et civilisations non européennes, sur la ZAC Paris rive gauche, non loin de la Bibliothèque nationale de France. Neuf partenaires, parmi lesquels la Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales, vont se regrouper. Une telle réunion de pratiques et de collections diverses ne s’effectue pas, on s’en doute, sans soulever un certain nombre de problèmes, dont, en premier lieu, la définition d’une politique documentaire commune.

Deux niveaux de consultation sont prévus, mais sans limitation d’accès aux collections : 550 places et 50 000 documents en libre accès pour la zone étude et 340 places et 175 000 ouvrages en libre accès pour la zone recherche. La capacité totale de stockage en magasin sera de 2 500 000 documents. La bibliothèque, d’une superficie de 17 000 m2 shon (surface hors œuvre nette), prévoit l’emprunt à domicile d’une partie de ses collections.

Le concours d’architecture sera lancé en 2004, et l’ouverture de la bibliothèque est prévue pour 2007.

Les nouvelles tendances : portails et groupements d’achat

Toujours dans la logique d’une meilleure structuration de la recherche, émerge une nouvelle tendance qui consiste à créer des portails. L’ABES ne fait pas exception et Sabine Barral, directrice de cet établissement, a présenté le futur portail documentaire Sudoc, dont un prototype est en cours de réalisation, et qui permettra d’interroger simultanément plusieurs catalogues.

Un autre exemple de portail, celui des revues scientifiques en sciences humaines et sociales – actuellement sept titres – fut présenté par le président de l’université Louis Lumière-Lyon II, Gilles Puech, et Jean-Émile Tosello-Bancal (chef du Bureau de la formation, de l’édition et des systèmes d’information à la SDBD) 3. L’accès de ce portail au public est prévu au deuxième semestre 2004. Un guide méthodologique devrait être rédigé pour faciliter le respect des règles du droit d’auteur.

S’il reste un domaine qui réclame une restructuration efficace, c’est celui des thèses. On comprend que, vu la complexité et le foisonnement des dispositifs concernant leur diffusion électronique – comment ne pas se perdre dans la diversité des chaînes de traitement, complexifiée par des changements de nom : Cyberthèses devenu Cyberdocs, ou Sparte (Système de production et d’archivage de thèses électroniques), et celle des bases en ligne : CCSD, Pastel –, la SDBD ait entrepris de faire un état des lieux, qui sera achevé en mai 2004, avant d’envisager une éventuelle compatibilité de signalement et d’archivage.

À travers l’enquête sur les ressources électroniques lancée par la SDBD auprès de 120 bibliothèques, c’est une tendance croissante aux groupements d’achats ou de commandes qui se dégage – malgré des résultats encore incomplets et provisoires à la date du 16 janvier 4. En effet, 7 des quelque 13 millions d’euros qui sont généralement consacrés aux acquisitions de documents électroniques, sont dépensés dans le cadre de groupements.

Quand on parle de groupements d’achats, il est difficile de ne pas citer Couperin, organisation riche de 152 membres. Dans ce consortium, les évolutions en cours furent commentées par Geneviève Gourdet, présidente de l’Université de Nice. Parmi les changements prévus, celui de son statut. Couperin est actuellement une association. Dans l’espoir de rivaliser avec le pouvoir des éditeurs en développant une force complémentaire et cohérente, la conférence des présidents d’université a proposé de choisir comme nouveau statut à Couperin celui d’un GIP (groupement d’intérêt public), et de mutualiser les expériences en incluant des établissements scientifiques comme le CNRS, l’Inserm et l’Inra. L’avantage du GIP – qui est le statut adopté par la Bulac – est, même si chacun s’accorde à dire que ce n’est pas la panacée, d’allier une structure légère à une existence juridique forte.

Doutes émis sur l’adhésion de principe des grands établissements scientifiques et craintes sur la place que le GIP réserverait aux petits établissements ont traduit la réserve des directeurs de BU face à ce projet. Il a été clair pour tous que le nouveau statut apportera, inévitablement, « des modifications de comportement ainsi qu’une nouvelle articulation entre les acteurs ».