Vu du Mirail, l'avenir de l'édition n'est pas si sombre
Quelques éléments de réflexion
À partir de quelles conceptions et de quelles valeurs se construit « l’entreprise » éditoriale au sein d’une université ? L’auteur s’appuie sur l’exemple des Presses universitaires du Mirail qui constituent un symbole collectif de partage intellectuel et un enjeu politique fort pour l’université, dans un contexte de profonds changements. Les PUM participent d’une vision du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. La numérisation et le multimédia lui offrent de nouvelles possibilités.
What are the ideas and values which form the basis for a publishing “business” within the university? The author uses the example of the Mirail University Presses to provide a representative model of intellectual sharing and a strong political stake for the university, within a context of major change. The PUMs participate in the vision of public service in higher education and research. Digitisation and multimedia offer new possibilities.
Auf welche Vorstellungen und Werte gründet sich der Verlags„betrieb« an Universitäten? Der Autor orientiert sich am Beispiel des Universitätsverlags Le Mirail (PUM), einem Symbol intellektueller Zusammenarbeit und ein wichtiges politisches Instrument der Universität, gegenwärtig im Umfeld von tiefgreifenden Veränderungen. PUM teilt die Auffassung, dass Hochschulwesen und Forschung öffentliche Einrichtungen sind. Digitalisierung und Multimedien öffnen ihm neue Wege und Möglichkeiten.
¿A partir de qué concepciones y de qué valores se construye “la empresa” editorial en el seno de una universidad? El autor se apoya en el ejemplo de Presses universitaires du Mirail (PUM) que constituyen un símbolo colectivo de compartimiento intelectual y un reto político de envergadura para la universidad, en un contexto de profundos cambios. Las PUM participan de una visión del servicio público de la enseñanza superior y de la investigación. La numerización y el multimedia le ofrecen nuevas posibilidades.
Suite à la journée organisée le 6 novembre dernier à Paris par le Syndicat national de l’édition en partenariat avec l’association Doc Forum sur le thème « La place du livre à l’université. Les défis de l’édition universitaire » 1, de nombreuses questions sont restées sans réponse. C’est dans ce foisonnement d’idées partagées que s’inscrivent ces quelques pages.
Marlène Coulomb, directrice des Presses universitaires du Mirail (PUM) et Sylvie Tiné, directrice de la librairie Études, installée sur le campus depuis 1990, ont nourri cette rumination à partir d’un petit questionnaire :
– Les PUM peuvent-elles être considérées comme une alternative aux difficultés et à la crise récurrente de l’édition dite « universitaire » ?
– Le développement d’une activité éditoriale à l’université passe-t-il nécessairement par une meilleure appréhension des pratiques de lecture et des modes de « consommation » du livre par les étudiants ?
– Est-ce avant tout par manque de formation à la lecture des textes universitaires que les pratiques d’achat et de lecture de livres sont en recul ?
– Le développement de la lecture sur écran (zapping) vient-il concurrencer la longue patience de la lecture des livres ?
– Quelle importance ont encore les bibliographies et les prescriptions des enseignants ?
– Quels rôles et quelles responsabilités ont les bibliothèques, la librairie Études ?
Les travaux de recherche et d’analyse commandés par le Syndicat national de l’édition, le ministère de la Culture et d’autres instances permettent de repérer les enjeux nouveaux de ce champ d’activités, très proche de la réalité des métiers de la documentation et des bibliothèques.
Conceptions et valeurs de l’édition universitaire
Les quelques éléments de réflexion qui suivent souhaitent dépasser la simple description de réalisations éditoriales, plus ou moins typées ou atypiques, pour tenter d’aborder l’aspect politique : il s’agit de comprendre à partir de quelles conceptions et de quelles valeurs se construit « l’entreprise » éditoriale au sein d’une université.
Les Presses universitaires du Mirail se vivent aujourd’hui comme un lieu de responsabilité intellectuelle. Elles doivent répondre à des attentes diverses, avec discernement, et un sens développé de l’économie de moyens, soutenus par une évaluation permanente de leur « production » au vu des objectifs assignés par l’Université. L’exigence de qualité les conduit à mobiliser des compétences professionnelles spécifiques, en relation permanente avec les équipes de recherche, les bibliothèques et la librairie du campus, les réseaux de diffusion et le milieu éditorial.
En dépit de ce qu’on a coutume d’appeler aujourd’hui « la dislocation de la culture classique », les PUM constituent un symbole collectif de partage intellectuel et un enjeu politique fort pour l’université, dans un contexte de profonds changements.
Elles participent aussi, ès qualités, d’une vision du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche : l’université est l’espace collectif dans lequel l’ensemble des composantes pédagogiques, bibliothéconomiques, scientifiques, administratives et culturelles partage les mêmes ambitions et les mêmes risques.
La réflexion doit donc sans cesse se situer à l’articulation, toujours délicate, entre les intérêts singuliers, dans la variété et la pertinence de leurs expressions, et l’intérêt communautaire. Il s’agit aussi de maîtriser les contraintes de l’environnement et des mentalités par une stratégie d’optimisation des ressources disponibles. C’est toujours plus facile à dire qu’à faire !
Le travail éditorial ressemble, peu ou prou, au travail bibliothéconomique, dès lors qu’on l’entend comme une activité intellectuelle de structuration de l’information bibliographique, s’exprimant et se déployant dans la confrontation des acquisitions concertées, du traitement en réseau et d’une mise à disposition efficace, au regard des besoins des usagers. Tous deux exigent une veille collective, lucide et critique, ainsi qu’une pratique maîtrisée de la médiation, dans une perspective novatrice.
« Penser les problèmes dans une complexité croissante suppose des compétences multiples. Servir la production (de formation initiale et continue, de recherche, de culture), c’est donc aussi penser la production, et produire, c’est aussi penser la viabilité du produit dans les services qui l’accompagnent. Aussi, autant l’indépendance des services et des systèmes de production entrave le développement, autant leur interdépendance concourt à l’assurer. Dans un monde où, de plus en plus, évolution et changement se déclinent en termes de rupture, la raison commande des pratiques de développement intégrées, seules capables de réduire les temps de réaction des acteurs concernés. » 2
Les ressources documentaires de l’université doivent être organisées et valorisées au bénéfice de l’ensemble de la communauté des enseignants, des chercheurs, des étudiants et des personnels. C’est une exigence permanente pour les bibliothèques dans le sens d’un égal accès de tous à l’information la plus pertinente.
L ‘édition universitaire répond à ce même objectif en publiant et en valorisant les travaux des universitaires : manuels, actes de colloque, travaux savants, rapports de recherche, revues scientifiques. Cette politique éditoriale a grandement amélioré sa visibilité grâce au web et aux actions de promotion dont la librairie Études est un vecteur important. Naturellement, le Service commun de la documentation participe activement à cette diffusion : il joue le rôle de « dépôt légal » de l’université et promeut les échanges de publications avec les bibliothèques des universités françaises et étrangères.
Perspectives du numérique
La numérisation et le multimédia sont en train d’offrir de nouvelles possibilités à ce champ d’activités.
Dans son rapport Bibliothèques universitaires et nouvelles technologies remis au ministre de l’Éducation en juin 1999, Bruno Van Dooren a fort bien décrit cette valorisation de la production universitaire (objectif 5) : « Les presses universitaires qui sauront tirer profit [de la numérisation et du multimédia] pourront porter la politique éditoriale définie par l’université, quels que soient les contenus sélectionnés et les publics visés…
« Il convient de rappeler que l’édition numérique, à la différence de l’édition imprimée, ne produit pas de document figé ; elle suppose un suivi et une actualisation permanente des publications et une maintenance des accès qui ne peuvent être assurés que par un travail associant différents services aux compétences complémentaires. » 3
Pour en savoir plus sur les PUM (à ne pas confondre avec les Presses universitaires de Montréal !) il suffit d’interroger son site 4. Outil de valorisation de la recherche scientifique, elles éditent une soixantaine de volumes par an, qu’il s’agisse de revues ou d’ouvrages, répartis dans une quinzaine de collections couvrant l’ensemble des champs disciplinaires de l’université.
Dans son étude réalisée pour le Syndicat national de l’édition en 2003, Édition universitaire et perspective du numérique 5, Marc Minon place les PUM en seconde place juste après celles de Rennes. Elles sont donc bien repérées nationalement. Pour répondre aux défis éditoriaux actuels et à venir, elles envisagent de mettre en ligne nombre de leurs publications.
Dans un contexte difficile, elles ont intérêt à rester fondées sur la cohérence de leurs collections et de leur catalogue et sur l’exploration du numérique.
Sans doute s’inspireront-elles des avancées significatives du nouveau site de l’édition savante québécoise 6 qui donne accès aux publications universitaires numériques des universités de Montréal, de Laval et du Québec à Montréal.
Le succès de cette entreprise est dû à un intense travail en réseau : mise sur pied d’un consortium interuniversitaire, promotion et diffusion des résultats de la recherche universitaire. Mais la maîtrise du numérique n’empiète en rien sur les compétences de l’édition papier !
L’ambition avouée de ce site est d’abord de proposer « un modèle alternatif crédible et professionnel face aux oligopoles commerciaux » puis de s’ouvrir à toute la francophonie : « Des plateformes sont en cours de réalisation en France et dans la communauté française de Belgique. » 6
Dans le cadre de son contrat d’établissement 2003-2006 avec l’État, l’université du Mirail s’est engagée à articuler la mise en place d’un environnement numérique de travail, d’une politique éditoriale au service de l’enseignement et de la recherche et d’un plateau technique de production : cet ensemble cohérent permettra d’élaborer et de soutenir une véritable politique globale de diffusion incluant la conservation et la valorisation du patrimoine littéraire et scientifique.
Les PUM sont à la croisée des chemins : elles répondent à des besoins et à des attentes non seulement des chercheurs, des enseignants et des étudiants, mais aussi d’un public plus large, soucieux d’enrichir et de mettre à jour ses connaissances.
Elles ne cherchent pas à concurrencer l’édition privée, même si elles nourrissent des projets ambitieux en mettant en évidence l’originalité et la richesse des champs de recherche du Mirail.
Pour ne pas conclure ces quelques propos sur les défis des presses universitaires à partir de l’exemple du Mirail, il est bon de rappeler « l’argument » d’introduction de la journée d’étude du 6 novembre : « Comment combler ce qui apparaît parfois comme un fossé d’incompréhension entre le monde de l’université et celui de l’édition, à un moment où des dossiers juridiques complexes s’additionnent sur fond d’insuffisance budgétaire ? Avant tout en analysant les pratiques pédagogiques et documentaires dans l’enseignement supérieur, et la place qu’y tient l’imprimé entre photocopie et numérisation. Ensuite, en observant dans les diverses disciplines les réponses des éditeurs à des situations nouvelles, l’évolution de leur métier. Sur ces bases, seront discutés de nouveaux modèles de diffusion des connaissances, associant en partenariat acteurs publics et privés. »
Mars 2004