Rien n'est sacré, tout peut se dire

réflexions sur la liberté d'expression

par Anne-Marie Bertrand

Raoul Vaneigem

préf. de Robert Ménard. Paris : La Découverte : Reporters sans frontières, 2003. – 93 p. ; 19 cm. – (Collection Sur le vif). ISBN 2-7071-4137-2 : 6,40 €

Auteur du célèbre Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (1967), Raoul Vaneigem publie ici un petit livre paradoxal et dérangeant – ce pourquoi on en conseillera d’autant plus vivement la lecture.

Petit, car il ne compte que 93 pages et ne coûte que 6,40 euros.

Paradoxal, car dans une écriture très classique (« Qu’il soit désormais établi, dès le plus jeune âge, que la connaissance des êtres et des choses n’a pas pour but de suborner, de dominer, d’ériger en juge mais de répondre aux sollicitations mêmes de cette faculté créatrice qui est le propre de l’homme et de choisir avec discernement ce qui peut nous aider à mieux vivre »), se coule une pensée de fer farouchement opposée à toute bien-pensance, au point que le préfacier Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières (et à ce titre peu suspect de composer avec la censure ni les censeurs), s’émeut de certaines formules – et on le comprend, par exemple à la lecture de celle-ci : « Il est aussi vain de reprocher aux spécialistes de l’information leur démagogie, leur autocensure, leur veulerie, leur avilissement et leur insolente complaisance aux aboiements du maître, que de prêcher l’honnêteté à un homme d’affaires. »

Dérangeant, car le propos est sans nuances : « Aucune idée n’est irrecevable, même la plus aberrante, même la plus odieuse » ; « Un crime est un crime et une opinion n’est pas un crime » ; « La scandaleuse hypocrisie de nos sociétés consiste à promulguer des lois contre les propos racistes, xénophobes, sexistes, terroristes, haineux, sans obvier à la banalisation de l’horreur que perpétue le fétichisme de l’argent », etc. Le propos est sans nuances mais appelle discussion, notamment sur la presse, dont Vaneigem ne parle pratiquement pas. Le débat qui avait été ouvert en 1996, à l’occasion de la censure à Marignane et Orange, sur la place de certains journaux, certains textes, certaines idées dans les bibliothèques publiques (je me souviens que nous parlions, précisément, de propos « racistes, xénophobes, haineux ») s’est interrompu – sans que la question ait été le moins du monde résolue. « Ce ne sont pas les propos qui doivent être condamnés, écrit Raoul Vaneigem, ce sont les voies de fait. » Oui mais, les propos les préparent…

À lire, évidemment.