Le livre au XVI e siècle
éléments de bibliologie matérielle et d'histoire
François Roudaut
Ce livre de synthèse fait suite aux études d’Henri-Jean Martin, de Roger Chartier et d’Élisabeth Eisenstein, sur la « révolution culturelle » qu’a représentée l’apparition du livre. Son auteur, François Roudaut, est actuellement professeur à l’université Paul Valéry (Montpellier III). Outre des travaux sur la kabbale chrétienne et sur la poésie du XVIe siècle, il a travaillé sur le riche fonds de la bibliothèque de Troyes et étudié la bibliothèque du démonologue Collin de Plancy (auteur du Dictionnaire infernal) et celle de Pontus de Tyard.
Dans cet ouvrage, c’est au monde complexe du livre de la Renaissance qu’il s’est attaché, en étudiant les trois temps du livre (fabrication, diffusion et lecture) par le biais de la bibliographie matérielle. Cette science, développée par les Anglo-Saxons à la suite des problèmes posés par les différentes éditions de Shakespeare, a été diffusée en France par les ouvrages de Kirsop et Laufer, et plus récemment, en pays francophone, par ceux de Jeanne Veyrin-Forrer et Jean-François Gilmont. Elle est liée à l’histoire du livre car, comme l’indique Wallace Kirsop, à côté de ce que l’objet matériel « livre » peut nous enseigner sur sa fabrication, « il est en mesure de dévoiler la façon dont il a été diffusé, vendu, lu et oublié ».
La fabrication du livre
François Roudaut analyse dans son premier chapitre, « Le livre fabriqué », la présentation matérielle du livre imprimé et son évolution tout au long du XVIe siècle dans une approche particulièrement riche. Il montre comment l’imprimé s’écarte progressivement du manuscrit pour prendre une forme quasi définitive pour plusieurs siècles. La mise en place de cette « organisation du livre » est étudiée de manière détaillée : disposition du texte plus « objective », élimination progressive de la glose, remplacée par le commentaire et la citation, lisibilité et spécialisation des caractères, variété des formats induisant une lecture plus différenciée et plus « personnelle ».
Et pour aller plus avant dans l’étude des aspects matériels du livre, il emploie (d’une manière un peu lourde) l’ordre de la description bibliographique ISBD : auteur, titre, adresse, collation, foliotation, reliure.
Au XVIe siècle, la fonction de l’auteur devient déterminante. S’il lui arrive déjà d’intervenir directement dans l’impression du texte, il se voit fréquemment consacré comme sujet grâce à la gravure en taille-douce et à la publication de ses œuvres complètes, parfois commentées. La page de titre devient signifiante grâce à la mise en place d’un décor, d’une architecture et au rôle de l’image : gravure, marque d’imprimeur. Les illustrations viennent expliciter le texte.
Tous ces ajustements sont finalisés par les fabricateurs du livre, les premiers imprimeurs qui doivent lutter contre les résistances conservatrices vis-à-vis de l’imprimé et pour cela s’appuyer sur la noblesse et le clergé pour imposer leur art. Le pouvoir royal de son côté saisit très vite l’intérêt politique du procédé. Les associations financières nécessaires rapprochent bourgeois et universitaires, et les maisons d’imprimeurs regroupent des élites intellectuelles. On voit apparaître les imprimeurs humanistes.
Diffusion du livre
« Le livre vendu » étudie la diffusion de l’imprimé : l’imprimerie devient une industrie (150 000 à 200 000 éditions) où les choix éditoriaux sont dictés par des impératifs économiques. L’édition religieuse suit l’évolution des luttes politico-religieuses du temps (Réforme, Contre-réforme). Le domaine le plus important de la production éditoriale reste celui des belles-lettres (37 % de la production en 1575), en particulier avec les auteurs classiques latins et grecs. Les romans de chevalerie constituent un véritable phénomène éditorial. Désormais, les choix éditoriaux, notamment avec le retour vers les auteurs classiques, délaissent le Moyen Âge et c’est tout un pan culturel, dédaigné pour longtemps, qui disparaît.
Les lecteurs au XVIe siècle forment un groupe étroit (20 % de la population masculine des villes, 3 à 4 % de celle des campagnes). Le livre circule, se prête et fait l’objet de collections, d’une grande diversité : bibliothèques des hommes obscurs (clercs ou magistrats) et d’autres plus célèbres (à l’imitation de l’Italie) qui ont joué leur rôle dans la République des lettres avec une certaine lenteur dans l’appréciation par les collectionneurs. L’auteur évoque en connaissance de cause la bibliothèque de Pontus de Tyard qu’il a longuement étudiée. Le livre lu était aussi rangé et l’on a longuement débattu de son classement physique, subordonné à une vision du savoir remettant en cause la classification inspirée par Aristote, mais aussi de l’essor de la science bibliographique naissante. La multiplication du livre et des bibliothèques invite à un nouveau mode de lecture : à la lecture personnelle, silencieuse au sein d’un nouveau lieu de retraite « microcosme du passé ».
Dans sa conclusion, François Roudaut nuance l’idée de « révolution du livre imprimé ». Pour lui, il ne s’agit pas réellement d’une révolution. L’imprimerie a « seulement levé le frein matériel qui empêchait le développement rapide d’un processus d’échanges structurellement mis en place depuis plusieurs siècles » et la rupture a été moins forte que celle du passage du volumen au codex. Au point de vue épistémique, la rupture se serait, au fond, produite plus tôt, au XIIIe siècle, époque où le livre est devenu objet de discussion et non de conservation
Il était difficile en un peu plus d’une centaine de pages d’évoquer d’une manière détaillée l’évolution de l’imprimé en cette période fondatrice, et certaines pages s’en ressentent (notamment l’évolution des relations de l’auteur et de son œuvre ou l’évocation du monde des imprimeurs parisiens et lyonnais). Mais cet ouvrage analyse clairement comment l’imprimé par sa présentation a transformé les conditions de production et de réception des textes pour plusieurs siècles. Il a également l’avantage de faire une mise au point des connaissances essentielles et actuelles sur la présentation et l’histoire du livre au XVIe siècle. Des références bibliographiques, des notes très abondantes et pertinentes permettent de nuancer les propos et surtout de renvoyer sous forme d’orientation bibliographique à certaines problématiques.
On aurait seulement aimé qu’aient été davantage utilisées des sources originales. On en voit tout l’intérêt dans les thèmes que l’auteur a déjà travaillés.